Un homme et une femme chez les Souverains.
14 Octobre 1999
Un homme et une femme chez les Souverains.
14 Octobre 1999
La mémoire et la mer.
Marie Philippe.
Extrait de la rencontre.
Albert Jacquard et Marie Philippe.
Présentation.
Jeudi 14 octobre 1999
Je quitte ma cellule
Je traverse les couloirs
Je salue mes amis
Je leur dis « à plus tard »
Je n’ quitte pas Bordeaux
du moins pas encore
je m’évade dans les mots
et la musique des noirs
Ma vie est un roman
Ma vie est une chanson
Qui en est l’auteur
c’est toute la question
Des questions que je me pose
en vers et en proses
Je vous salue Albert et Marie
Et je vous plaide ma cause
Albert Jacquard et Marie Philippe
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes
Bonjour Marie, Bonjour Albert, rebienvenue une autre fois à notre émission. Vous deux, vous avez en commun d’être les récidivistes de Souverains anonymes. On ne compte plus vos visites. Vous avez toujours répondu à l’invitation de Mohamed. Vous avez en commun aussi le fait d’être tous les deux sur notre album « Libre à vous ». Toi Marie, tu as même voyagé pour le promouvoir. Cette année Souverains anonymes fête ses 10 ans d’existence. Toi Marie, tu es une de nos premières invitées, tu es venue la première fois le 22 novembre 1990. Et toi Albert, tu es venu la première fois le 10 mars 93. J’aimerais vous entendre parler de ce que cela représente pour vous de franchir la porte d’une prison et parler devant un micro à des hommes anonymes comme nous..?
Bonjour Albert, j’étais ici à votre première rencontre avec les Souverains en 1995. J’étais beaucoup plus jeune et je n’avais pas de cheveux gris. Aujourd’hui, je me sens fatigué. Fatigué de la prison. Il m’arrive même d’être fatigué un peu de la vie. Depuis que j’ai perdu ma femme, la prison est devenue pour moi un refuge. Je ne sais pas pourquoi. Je ne comprendrai jamais le mystère de la prison. Comme tout le monde, je n’aime pas la prison. Pourquoi alors j’y reviens souvent ? J’ai deux enfants. Ils entretiennent mon espoir à un avenir meilleur. En attendant cet avenir meilleur, je me sens comme un p’tit vieux. Mais je vous regarde Monsieur Jacquard, à 74 ans, vous n’arrêtez pas de courir avec vos projets, vos livres, vos conférences.. Vous n’avez rien d’un p’tit vieux. Vous êtes même un grand homme de notre époque. Alors dites-moi, qu’est-ce qui vous fait courir et pourquoi..?
Salut, je m’appelle Lino. Je ne suis pas à ma première sentence en prison. Depuis 14 ans, je fais des allées retour entre la société et les cellules de prison. À chacune de mes sentences, il y a toujours eu quelqu’un pour me faire la leçon et me montrer le droit chemin. Ma famille. Ma belle-famille. Ma blonde. Mais personne n’a jamais réussi à m’influencer. La prison faisait partie de mon travail, de ma vie. Mais depuis deux ans, la prison commence à me peser lourd sur les épaules et sur la conscience. Et c’est grâce à ma petite fille de deux ans que je ne vois plus les choses de la même façon. Ma fille qui sait à peine parler, a réussi à m’influencer et me faire voir la vie d’une autre manière.
Les discours et les leçons de moral de ma famille, de ma belle-famille ou de ma blonde, ne sont rien à côté du sourire de ma fille pour laquelle je ferais n’importe quoi pour la rendre heureuse dans la vie. Monsieur Jacquard, la naissance d’un enfant n’est-il pas plus fort que tous Quand les discours et les leçons de moral ne suffisent pas pour réinsérer un criminel dans la société, la naissance d’un enfant.. fondation d’une famille ne serait pas le miracle à souhaiter pour les détenus.
Salut Albert, bientôt tu vas publier un livre qui s’adresse aux enfants du troisième millénaire, c’est à dire nos enfants et nos petits enfants.. Moi, je ne suis pas écrivains, je ne peux m’adresser qu’à mes propres enfants pour leur dire : Ne faites pas ce que j’ai fais. Je ne me sens pas toujours un bon exemple pour mes enfants, je sais que je les aime. Mais l’amour ne suffit toujours pour garantir du bonheur aux enfants. Il faut plus.. Beaucoup plus. Qu’est-ce qu’il y a dans votre livre Albert qui pourrait donner à un enfant le goût d’être mieux que son père.. ?
Albert, Nous avons écouté ta première rencontre avec les Souverains. Tu avais dis que si tu n’étais pas le célèbre Albert Jacquard, ton éditeur n’aurait pas accepté de publier ton livre « Un monde sans prison ». Tu avais dis que tu n’avais pas honte de faire du trafic d’influence. J’ai peur Albert que le trafic de drogue ne soit plus efficace que le trafic d’influence. Mais donne-moi un exemple de ce que le trafic d’influence peut faire pour changer la situation des prisons..?
Salut Albert et Marie, après quelques années à faire du temps, on finit par se faire une petite réflexion sur la prison. Une réflexion sous forme de question que je te pose Albert.
On dit que la prison est une institution miroir de la société. Pourquoi alors on cache ce miroir derrière les murs ? Notre société a t-elle des choses à se reprocher..? En cachant des hommes pour les punir, la société se punit elle-même de ces propres travers.. Est-ce que je me trompe Albert..?
Salut Albert, quand Mohamed nous a parlé du titre de ton livre « Un monde sans prison », je me suis dis « Cent prisons ..? Pourquoi pas 99. Pourquoi pas 3500 ? ». En fait, je ne pouvais même pas imaginer que quelqu’un puisse penser la possibilité d’un monde sans prison.. Depuis que j’ai entendu parlé de ton livre j’essaie d’imaginer le nombre de prisons qui existent dans le monde : 10 000, 20 000. Peut-être plus.. Il y a sûrement trop de prison dans le monde et très peu de gens qui envisagent un monde sans prison. Même moi, je n’y avais jamais pensé et j’ai toutes les raisons du monde de le rêver. Albert, tu as écris ton livre il y a sept ans.. Est-ce que tu crois toujours à ce monde sans prison..?
En préparant cette émission, une question s’est imposée à nous. Qu’est-ce qu’un détenu peut dire encore devant ce micro..? Depuis 10 ans 7000 détenus de Bordeaux, ont parlé devant un micro de radio. Ont-ils encore quelque choses à dire..?
Autrement dit, est-ce que la radio peut représenter une porte ouverte de la prison pour des auditeurs qui ne connaissent pas la prison ni les prisonniers..?
Ma réponse est simple. La radio ne peut pas grand chose pour faire connaître la prison. Ça prend plus qu’un micro de radio pour révéler la réalité d’une prison au monde. Mais la radio peut faire beaucoup pour démystifier ce qu’est un prisonnier.
Par exemple, au moment ou je vous parle, des auditeurs m’écoutent. Je peux leur parler de moi. De ce que j’aime. De ce que je n’aime pas. De mon talent de chanteur rappeur. De mes rêves, mes projets.. Je peux même passer quelques messages.. Mais le message le plus important c’est de rappeler à ces auditeurs que je suis un homme, et qu’en prison, je ne suis que de passage. Libre à eux de capter le message. Moi personnellement, je ne souhaite à personne de se trouver en dedans. Mais je me considère quand-même privilégié de connaître un monde carcéral qui n’est pas accessible à tout le monde. On n’entre pas dans une prison comme on entre dans un musée. Alors, j’essaie d’en profiter de la façon la plus positive pour ne plus y retourner. Je n’aurais jamais écris certaines chansons, si je n’étais pas venu ici à la prison de Bordeaux. J’ai 20 ans. C’est ma première sentence. C’est aussi ma dernière.. Mais que pensez-vous de ça Albert et Marie, les prisons d’aujourd’hui seront-elles les musées de demain..?
Salut, mon nom c’est Luc, je ne suis pas à mon premier passage à Bordeaux. Ce n’est pas la première fois non plus que je parle au micro des Souverains. J’ai rencontré bien des artistes et des écrivains à cette émission. Des gens que je n’aurais jamais vu dehors comme toi Albert. Je fais partie des meubles de ce studio. À Souverains anonymes, je suis devenu le maître de cérémonie, l’écrivain, le poète et l’homme de ménage. J’attends un prix ou un hommage. Ça ne vient pas encore. Ce n’est pas grave. Je n’en veux pas.. Mais je continue d’écrire et voici ma dernière petite histoire que j’ai lue la semaine dernière à mes amis et Mohamed a insisté pour que je vous la raconte. Écoutez ça :
Bonjour Céline, je m’appelle Danny. Mes amis m’appelle Dallas parce que j’aime les cowboys. J’ai 28 ans. J’ai deux filles Lydia et Sabrina. Je suis un peu timide, mais je vais t’écrire quand-même cette lettre parce que ça va me faire du bien de m’adresser à une chanteuse de chez-nous célèbre dans le monde entier. En tant que québécois, je suis fier de toi.
Je t’écris de l’Établissement de Détention de Montréal (prison de Bordeaux).
Je participe à l’émission Souverains anonymes qui fête cette année ses 10 ans d’existence. J’ai appris qu’à Noel 91 tu étais venue avec René pour rencontrer les Souverains. Mohamed m’a fait une copie de ta rencontre. Si je pouvais reculer le temps pour être présent à cette rencontre magique. Tu avais donné aux Souverains de Bordeaux un des plus beaux souvenirs de leur vie.. Et toi aussi, tu semblais heureuse.
Tu avais même exprimer un rêve, celui de revenir voir un jour les Souverains. Si cela était possible, crois-moi, j’aurais eu tellement de chose à te dire et des questions à te poser. Sur ta carrière, mais aussi sur ta vie. J’aurais aimé te montrer que les murs d’une prison ne nous enlèvent pas notre humanité, notre sensibilité..
Mais parmi toutes mes questions, voici celle qui me tient le plus à coeur..
Comme je t’ai dis, j’ai deux filles et à Bordeaux, il est difficile pour moi de les rencontrer normalement, parce qu’on a coupé les visites contact depuis deux ans à Bordeaux. Quand mes filles viennent me voir, je ne peux pas les toucher. Je ne peux pas les embrasser. Je ne te souhaite pas de vivre ça. C’est plus dur que la prison elle-même.
Je ne voudrais pas savoir comment tu réagirais si tu étais à ma place, parce que je ne te le souhaite pas. Je ne suis pas le seul père qui souffre de cette injustice.. Ma famille n’est pas la seule à souffrir de cette bêtise.. Le problème, c’est que Bordeaux est la seule prison au Québec ou on a coupé les visites contact.. Voyez-vous l’injustice. Le rapport avec la famille aide beaucoup la réinsertion sociale d’un détenu.. Mais, j’en connais beaucoup qui ne veulent plus rencontrer leurs enfants, ça leur fait trop mal de ne pas pouvoir les toucher..
Voilà, ça m’a fait du bien de me fier à toi Céline. Je suis déjà heureux de savoir que quelqu’un de l’extérieur des murs prend le temps de lire ma lettre.
En fait ma question est la suivante :
Céline quand est-ce que tu vas réaliser ton rêve et venir rencontrer les Souverains.
Bientôt, tu vas prendre une pause dans ta carrière.
Ça serait un bonheur pour moi et les Souverains que tu viennes nous rendre visite avant la grande pause..
15, 16 ou 17 décembre 99 ou n’importe quand..
S’il suffisait d’aimer..
D’un admirateur et bientôt ex-détenu pour la vie
Dallas
10- Salut Albert et Marie, je quitte très bientôt la prison et je sais déjà que je vais garder un bon souvenir de cette rencontre avec vous. J’ai appris par Mohamed que Céline Dion étais venue fêter Noel 91 avec les Souverains anonymes. Céline Dion est mon idole. J’aurais bien aimé la rencontrer aussi et l’entendre chanter comme elle a fait pour les Souverains en 91. Je sais que sa carrière n’est plus la même. Mais Céline avait exprimer un rêve aux Souverains, celui de revenir les voir. Avant qu’elle prenne une pause dans sa carrière, j’aurais bien aimé la rencontrer au Souverains anonymes. C’est presque un miracle que cela arrive. Alors j’ai décidé d’écrire à Céline Dion pour lui exprimer mon rêve :
12- Marie Philippe, je t’invite au nom de mes camarades, de nous chanter quelques chansons à toi. On parle, on parle, mais on revient toujours à la musique et à la chanson pour se faire du bien. Marie, à toi de jouer et à nous de t’applaudir.. Albert Jacquard, Marie Philippe, ce n’est peut-être pas la dernière fois que vous venez à Souverains anonymes. J’espère que moi et mes amis ne nous seront plus là. On se verra ailleurs. Tiens en France, à Paris.. n’importe ou sauf ici. Vous êtes les fidèles amis des Souverains et nous vous en remercions sincèrement. Au nom de tous mes camarades, je vous déclare encore une fois, Souverains anonymes...