1 févr. 2001 | Rencontres, Vidéos, 2011 à 2015, Audios, Débats de Souverains

Denis Chouinard et Rabah Aït Ouyahia

"Des réfugiés, des clandestins et beaucoup de femmes et enfants afghans seront bientôt parmi nous''

Denis Chouinard 1

Cinéaste

1 Février 2001

Denis Chouinard 2

Cinéaste

1 Février 2001

Accueil et silence!

Pourquoi l'immigration ?

L'ange de goudron

"Je ne suis pas algérien, je suis curieux" DC

Je quitte ma cellule
Je traverse les couloirs
Je salue mes amis
Je leur dis " à plus tard "

Je n' quitte pas Bordeaux
du moins pas encore
je m'évade dans les mots
et la musique des noirs

Ma vie est un roman
Ma vie est une chanson
Qui en est l'auteur?
c'est toute la question

Des questions que je me pose
en vers et en proses
Je vous salue hommes de cinéma
Et je vous plaide notre cause

Denis Chouinard Rabah Aït Ouyahia
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes

Salut Denis et Rabah, je m'appelle Alex, moi et mes camarades Souverains, nous sommes particulièrement contents de vous recevoir.
Après avoir vu ton film l'Ange de goudron, nous avons beaucoup parlé. L'histoire de ce film a rappelé nos propres histoires.
En racontant mon histoire personnelle à Mohamed, je me suis rendu compte que j'étais à moi seul un film. Un bon film.
Je te le raconterai plus tard. Pour l'instant faisons un peu connaissance. Depuis quelques temps, le silence est un peu notre matière de réflexion.
En tout cas moi j'essaie d'intégrer le silence dans mon passage en prison par la prière et la méditation. Grâce au silence, je découvre certaines dimensions de moi-même.
Mais il faut reconnaître que le silence c'est le genre d'ami qu'on évite de fréquenter souvent, car il a tendance à être trop honnête avec nous, justement, parce que c'est un ami, il n'hésite pas de nous dire certaines vérités qu'on aimerait mieux ne pas connaître. À notre émission, on profite du passage de nos invités pour connaître leur rapport avec le silence. Juste avant d'aborder ton film l'Ange de goudron voici une petite question sur le silence.
Silence.. on pense.

1- Salut Denis et Rabah, considérez-vous le silence comme un ami, si oui est-ce que c'est un ami que vous fréquentez souvent.. ? Quel genre de relation avez-vous avec le silence.. ?

2- Salut Denis, avant d'aborder ton dernier film, je veux savoir pourquoi le thème de l'immigration et de l'exil revient dans tes deux premiers films Clandestins et l'Ange de goudron.. ?

3- Salut Denis, Si je résume ton film, il s'agit d'un homme, Ahmed Kasmi, qui a quitté avec sa famille une Algérie au bord de la guerre civile pour venir chercher au Canada une sécurité et une nationalité canadienne. Quelques semaines avant de l'obtenir, Hafid, le fils de Kasmi qui a 19 ans, s'engage dans une opération militante pour empêcher les autorités canadiennes de déporter beaucoup d'hommes et de femmes à leurs pays d'origines. Le père de Hafid se lance dans une autre grande aventure, celle de sauver son fils de cette opération dangereuse et sauver aussi la chance de sa famille d'obtenir les papiers canadiens. On assiste donc, à l'aventure d'un travailleur algérien, à la recherche de son fils au nord du Québec, ses pieds dans la neige et sa tête troublée par la double peur, perdre son fils et perdre la chance de devenir canadien.
Je retiens de ton film au moins trois thèmes,
1- Relation parents enfants chez les immigrants.
2- Le choc culturel de certains immigrants.
3- L'injustice des lois sur la déportation au Canada.

Personnellement, je retiens particulièrement, le courage de Hafid qui a pris le risque de mourir pour sauver des immigrants de la déportation

4- Rabah, tu es d'abord chanteur hip hop avant d'être comédien, ton groupe s'appelle Altitude nord, j'espère que tu reviendras avec ton groupe pour nous faire un show. Dis-moi est-ce que ton personnage dans le film de Denis aurait pu faire l'objet d'une chanson rap, si ce n'est pas déjà fait..?

5- Salut Denis et Rabah, dans ton film il y'a certains détails qui pourraient faire l'objet d'une émission entière. Je pense à l'agression policière, au militantisme des jeunes, et au tatouage sur les belles fesses. Moi je vais parler du thème qui me touche le plus personnellement, je ne sais pas si toi Rabah, tu as déjà vécu toi-même en tant qu'immigrant une confrontation avec tes parents comme on voit dans le film. Moi oui. Maintenant que j'ai vu le film l'Ange de Goudron, je trouve que ma propre histoire est un film. Elle commence par un bel après midi de 1980, j'avais 10 ans. À mon retour de l'école, j'ai fais ce que mon père n'a jamais voulu que je fasse. J'ai vendu du chocolat en faisant du porte à porte. Mon père n'a pas vu dans ce que j'ai fais un sens de l'initiative ou un signe de mon autonomie. Mon père s'est senti insulté, il m'a engueulé et il m'a même menacé que si je recommençais, j'allais en manger toute une. Ma réaction était simple et naturelle, je l'ai simplement menacé que s'il osait me frapper je ferais appel à la DPJ. À 10 ans déjà, j'étais conscient de mes droits et je savais que la Direction de la Protection de la Jeunesse était là pour défendre mes droits. D'ailleurs, ce qui devait arriver arriva, je me suis trouvé deux ans plus tard dans une famille d'accueil. Une famille qu'on m'a prêté, un papa, une maman, des frères et sœurs, tous prêtés.. Je me sentais bien avec eux. On allait en colonie de vacance, au cinéma, j'avais tout ce que je désirais sauf ma famille. Même si je me sentais libre dans cette famille d'accueil, je n'étais pas très heureux. Ma vraie famille me manquait. Même mon père me manquait. Aujourd'hui, avec le recul, je comprends son drame. Mon père, comme presque la plus part des immigrants, s'il pouvait rester dans son pays d'origine, il ne serait pas venu au Canada. La bas, c'était une autre vie. Exemple, quand je suis arrivé jeune à Montréal, la première chose qui m'a surpris à l'école, il n'y avait pas de drapeau, et les élèves n'étaient pas obligés de chanter l'hymne nationale. Alors qu'en Haïti c'est un devoir national dans les écoles. Pour moi c'était un signe de liberté. Mais pour mon père Finalement, mon père il ressemble à ton personnage Ahmed Kasmi. lui aussi, il avait peur de rester en Haïti, et au Canada, il avait peur que ses enfants oublient qu'ils sont d'abord haïtiens, alors que ce n'est pas si simple que ça.. Beaucoup de parents haïtiens sont malheureusement comme ça, ils ne comprennent pas que leurs enfants vivent dans une autre réalité, au lieu de s'intégrer eux aussi dans le nouveau pays, ils résistent par peur de renier leur culture. Parce qu'au fond, leur immigration n'a jamais été un choix mais une obligation. Un haïtien n'immigre pas au Canada par amour du froid et de la neige. Un haïtien quitte son pays avec l'espoir d'améliorer le sort de sa famille. On n'a pas besoin d'être un opposant politique d'un régime pour fuir son pays. C'est le cas d'autres immigrants d'autres cultures.. Ton film Denis évoque très bien le dilemme de ces immigrants qui sont à la fois heureux d'être canadiens mais profondément malheureux de se déraciner. C'est peut-être le destin de tous les immigrants, mais certains vivent mieux que d'autres leur immigration. Tous les enfants d'immigrants ne connaissent pas des familles d'accueil, et n'aboutissent pas nécessairement en prison. Moi aussi comme Hafid dans ton film j'ai toujours aimé mon père. Je vais toujours l'aimer et le respecter. Je ne veux pas le juger. Si j'ai connu la prison c'est sûrement à cause d'un problème d'identité. Mais, dans mon cas la prison m'a appris des choses. Aujourd'hui, je m'en sors grandi. Je sais ce que je veux et ce que je vaux. Et je sais qu'avec mes enfants, j'en ai quatre, jamais je ne vais les empêcher de vendre du chocolat pour faire leur argent de poche. Mes enfants sont désormais d'abord des québécois…

Et toi Denis, tu ne serais pas algérien par hasard.. !!!!?

6- Moi, j'ai retenu de ton film la belle calligraphie arabe tatouée sur les belles fesses de Catherine Trudeau, celle qui joue le rôle de la blonde de Hafid. C'est dommage que Catherine n'soit pas avec vous, je lui aurais posé cette question qui me brûle la langue. Catherine, as-tu gardé la calligraphie arabe sur tes fesses après le tournage… ?? Puisqu'elle n'est pas là pour me répondre, je te demanderais Denis as-tu déjà vu de l'Arabe sur les fesses d'une femme.. ?

7- Salut Denis, Moi aussi j'ai vu ton film l'Ange de goudron. Quand Mohamed m'a demandé ce qui m'a le plus touché dans l'histoire du film, ma réponse était prête avant la question. J'ai dis que j'aurais aimé avoir un père comme celui de ton personnage Kasmi. Un père qui aurait cherché beaucoup pour me trouver, quand moi aussi j'avais quitté la maison. J'aurais aimé avoir un père qui me donne deux bonnes gifles pour me ramener à la raison. Parce que moi, contrairement au personnage du fils dans ton film, quand j'ai quitté la maison à l'âge de 15 ans, ce n'était pas pour aller militer pour une bonne cause. Moi, ma cause c'était la rue. La rue est devenue ma famille. C'est dans la rue que j'ai appris tout ce que je sais aujourd'hui. Elle m'a apprit surtout a badtripper, à être malheureux. Même si j'étais conscient de mon malheur, je n'arrivais pas à m'en sortir. La rue faisait sur moi un effet de sorcière. Je faisais beaucoup d'argent, j'en perdais beaucoup. Je savais que ça allait finir mal.. Dans ton film, j'ai vu le père que j'aurais aimé avoir. Celui qui m'aurait démontré qu'il m'aime. J'aurais aimé avoir un coup de main ou un coup de pied dans le cul pour me faire réfléchir. Mais, mon problème aujourd'hui, ce n'est pas seulement de ne pas avoir eu le père idéal.. Je suis aussi victime de certaines règles de la société.. La règle au Canada veut tant que tu n'aies pas tes papiers de nationalité canadienne, tu ne seras jamais un canadien. Même à 90 ans. Même si tu as des enfants, même si tu marie une canadienne.

Aujourd'hui, je suis de nouveau en dedans après deux déportations. Et dans quelques mois je vais être de nouveaux être déporté à Port-au-Prince. Là bas, c'est encore la rue qui m'attend..

Je suis un immigrant déporté et rapporté en prison (Bordeaux).. Parce qu'à chaque fois qu'on me déporte, je me rapporte. Je me suis arrangé pour rentrer chez moi. Montréal est ma vraie ville. Le Québec est mon vrai pays. En Haïti je me sens toujours comme en prison, comme à Bordeaux. Oui j'ai commis des crimes.. Mais je suis comme les autres détenus. Un québécois.

Je suis arrivé à Montréal depuis l'âge de 8 ans. La plupart des déportés sont arrivés jeunes au Québec. Aujourd'hui, j'ai 23 ans. C'est ici que j'ai appris le crime.

C'est vrai que c'est la faute de nos parents qui n'ont pas jugé bon de faire nos papiers, mais ce qui me révolte le plus dans cette histoire c'est le silence complet de la communauté haïtienne.. Aucune solidarité, aucune intervention auprès des politiciens. On se fait déporter à la pelle et personne ne bouge le petit doigt, encore moins la communauté haïtienne qui a honte de ses membres.. Moi, j'ai honte de ma communauté qui ne fait rien pour moi. Comment veux-tu que je me sens haïtien ou québécois alors que les deux cultures me rejettent totalement..?

Denis, pour faire ton film, tu as étudié la question mieux que moi. Penses-tu que ton film va faire réfléchir l'opinion publique sur le problème des déportations. Penses-tu qu'un jour on va remettre en question certaines lois sur la déportation des immigrants surtout ceux qui comme moi vivent depuis longtemps au Canada..?

8- Ton film termine sur une note optimiste. La famille obtient finalement la nationalité canadienne. Saïd nouveau-né remplace son frère Hafid mort pour une bonne cause. Devant la tombe de son fils, le père reconnaît finalement le courage de son fils, on l'entend dire en voix off : " La place d'un homme en société, c'est celle qu'il prend ". Cette phrase me fait beaucoup réfléchir parce que moi aussi j'essaie de prendre ma place en société, mais je ne suis pas toujours sûr de ma vraie place, ni de la façon avec laquelle j'essaie de la prendre.. Toi Denis, tu prends ta place en société en faisant des films, toi Rabah tu chantes.. C'est bien.. Mais moi, jusqu'à maintenant ma place c'est avec le crime que j'essaye de la prendre. Résultat, je me trouve en prison.. La prison n'est pas la meilleure place à prendre en société.. Alors, de quelle place tu veux parler Denis.. ??

9- Denis Chouinard et Rabah aït Ouyahia, au moment ou on se parle le pays le plus riche frappe le pays le plus pauvre. Il n'est pas impossible que l'Afghanistan fasse l'objet de plusieurs films. Cette guerre inspire déjà beaucoup de scénarios. L'Afghanistan ressemble à un grand plateau de cinéma hollywoodien. Des réfugiés, des clandestins et beaucoup de femmes et enfants afghans seront bientôt parmi nous et je suis sûr que ça va te tenter de faire un film sur eux. En attendant, commence par faire un film sur moi ou sur un de mes copains.. Nous sommes tous des afghans de ces temps-ci. Je vous remercie Denis Chouinard et Rabah Aït Ouyahia de venir nous parler de l'Ange de goudron. J'espère que d'autres films comme le tien, apporteront une prise de conscience d'un problème qui n'est malheureusement pas très connu de tout le monde. Je parle de la déportation abusive. Merci Denis d'avoir fait ce film. Merci Rabah d'y avoir joué un bon rôle. Au nom de tous mes camarades, je vous déclare Denis Chouinard et Rabah aït Ouyahia, Souverains anonymes.

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Reflexion d'Alex sur le silence:

Silence, mon ami. Le silence est un ami qu'on évite de bien connaître car il a tendance à être trop honnête avec nous. Justement, parce que c'est un ami. Je ne fui pas la vérité en tant que telle mais je fuis ma vérité, celle que le silence connaît mieux que moi. Généralement, la vérité se déguise. Elle se cache. Mais la mienne, dans le silence, elle se tient nue devant moi et je ne peux l'habiller. Le silence m'empêche de fuir, de me dérober, me cacher de ma vérité. Et cela me tracasse souvent.

Et en prison, je n'ai doublement pas le choix, car le silence est toujours prêt à m'accueillir. Il ouvre grand la porte de ma cellule. Une porte qui se referme aussitôt que je me trouve face à moi-même.

Mais, je dois dire que le silence en prison est un ami patient. Il me laisse le temps longtemps avant de gagner ma confiance et mon amitié.

Je suis devenu ami du silence le jour ou j'ai compris que ma vérité n'était pas permanente et qu'à défaut de la déguiser, je pouvais la changer en tout temps et en silence.

En apprenant de mes erreurs passées, je me trace une nouvelle voie, un nouveau moi, une nouvelle vérité.

Merci Silence d'être mon ami le plus sincère.

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