28 nov. 2019 | Débats de Souverains, Rencontres, 2016 à 2020, Audios

François Landreville II

Version radiophonique. Diffusé sur CIBL 101,5 FM Jeudi 3 Mai 2019

Émission 3: François Landreville

L'intégrale de la troisième émission spéciale tel que diffusée sur CIBL avec le directeur de l'Établissement de Détention de Montréal

29 Novembre 2019

Directeur de l'Établissement de Détention de Montréal

Lettre de remerciement


Je quitte ma cellule

Je traverse les couloirs

Je salue mes amis

Je leur dis « à plus tard »

Je n’ quitte pas Bordeaux

du moins pas encore

je m’évade dans les mots

et la musique des noirs

Ma vie est un roman

Ma vie est une chanson

Qui en est l’auteur

c’est toute la question

Des questions que je me pose

en vers et en proses

Je te salue François

Et je te plaide notre cause

François Landreville

Bienvenue parmi les

Souverains anonymes

  • 1- Bonjour Monsieur Landreville, je m’appelle Yves. D’abord merci d’avoir accepté notre invitation. Depuis 30 ans, plusieurs directeurs de Bordeaux ont accepté de rencontrer les Souverains. C’était toujours autour d’un micro de radio. Aujourd’hui avec toi, nous sommes aussi entourés de caméras. C’est quand-même quelque chose d’unique au monde cette possibilité que des détenus et un directeur de prison puissent communiquer aussi facilement et publiquement. Le premier qui a ouvert le bal de cette ouverture, il y a 28 ans, c’est Monsieur Arthur Fauteux. Et je vois bien que tu poursuis cette même ouverture. En tout cas moi, je fais partie des détenus qui profitent beaucoup de ce programme. Je ne rate aucune rencontre. Pour mieux te connaître, je sais que tu es le directeur de la prison de Bordeaux depuis presque 10 ans. tu es aux Services Correctionnels depuis plus de 30 ans. Si je ne me trompe pas, tu es arrivé un peu avant Mohamed à Bordeaux. Tu as commencé ton travail comme gardien. Tu sais François, je ne connais personne qui a déjà rêvé dans son enfance d’être un jour gardien de prison, encore moins directeur de prison. Donc, raconte-nous un peu ce que tu as vécu dans ton enfance et ta jeunesse qui t’a préparé à ce métier ?

  • 2- Monsieur Landreville, c’est bien connu, les détenus ça se plaint tout le temps. Alors, j’ai une plainte que je voudrais exprimer devant toi aujourd’hui. François, quand tu as appris que Mohamed envisage bientôt prendre sa retraite, comment ça se fait tu ne l’as pas arrêté pour crime contre autrui ? Si j’étais à ta place, je lui aurais réservé une belle cellule de Bordeaux pour le garder avec nous. Moi, je quitte bientôt Bordeaux, mais je sais que des centaines de détenus auraient besoin d’un programme comme Souverains anonymes qui permet aux détenus de s’exprimer, de communiquer, de réfléchir et surtout de rencontrer des personnes intéressantes. La dernière invitée que j’ai rencontrée, c’est Rachida Adzouz, ça m’a donné l’occasion de lire son livre et d’échanger avec elle sur le thème de l’identité et du vivre ensemble. À propos de vivre ensemble, dis-moi quelles sont les qualités nécessaires d’un directeur de prison pour maintenir un bon vivre-ensemble dans son institution carcérale ?

  • 3- Bonjour Monsieur Landreville, je m’appelle Colbert. Tu sais entre nous les Souverains, il nous arrive souvent de réfléchir sur la finalité de la prison. En préparant cette rencontre, nous nous sommes demandé à quoi peut ressembler la prison du futur au Québec. Personnellement, je n’arrive pas à imaginer un retour en arrière quand la prison ne servait qu’à une chose, punir. Depuis 50 ans, le Québec essaye de mettre la réhabilitation au cœur de la vie carcérale. Mais pour moi, la réhabilitation prendra tout son sens le jour où tous les détenus sans exception seront inscrits dans des programmes de réhabilitation. Pour vous donner un exemple concret, moi par exemple, j’ai commencé des études en finance au CEGEP, dans une prison idéale, dès mon arrivée, j’aurais pu poursuivre mes études pour ne pas perdre mon temps. Je dis Prison idéale, mais ces deux mots ne vont pas ensemble. Pour moi et pour beaucoup de mes amis, la prison idéale ne portera plus le nom de prison. On l’appellera une école de redressement, une école de réforme. Monsieur Landreville, est-ce qu’il vous arrive de rêver d’une prison du futur, si oui à quoi ressemble-t-elle ?
  • 4- Monsieur Landreville, je m’appelle Snyder. Moi aussi, il m’arrive d’imaginer la prison de Bordeaux dans 5 ans. C’est-à-dire demain. La première chose je vois, c’est une prison écologique, Une prison dans laquelle les détenus seront tous chargés à faire respecter les normes de protection de l’environnement. Une liste de tâches sera conçue pour permettre à chaque détenu de se sentir utile à l’environnement. Après sa sortie de prison, il aura appris à mieux respecter la nature. Ramassage plastique, planter des arbres, jardiner, ne pas rouler tout le temps avec une voiture.. etc. Question, qu’est-ce qui empêche ce projet de demain d’être réalisé aujourd’hui.. ? Autrement dit, est-ce qu’on peut dès maintenant réaliser des projets écologiques avec les détenus de Bordeaux ?
  • 5- Bonjour Monsieur Landreville, je m’appelle Johan. Je sais que d’habitude les détenus et les gardiens, ça vit comme des chats et des souries. Mais je ne me plaindrais ici. J’aimerais plutôt rendre hommage à un homme qui travaille comme gardien ici à Bordeaux. J’ai rarement vu un gardien aussi respectueux des détenus. Certains gardiens devraient suivre son exemple. Par respect à son anonymat, je l’appellerais Monsieur K. Ce gardien de Bordeaux réussit à faire très bien son travail de gardien, tout en respectant les détenus. Autrement dit, il n’a pas perdu son humanité en devenant gardien. Toi-même, tu as commencé comme surveillant, raconte-nous comment tu as réussis à équilibrer les exigences de ton métier et le respect que tu devrais garder pour les personnes incarcérées...?
  • 6- Bonjour Monsieur Landreville. Je m’appelle Gusev. Je suis d’origine russe. Je suis arrivé au Québec à l’âge de 15 ans. Pendant quelques années, j’ai fais le va et vient entre la Russie et le Canada. Ms voyages entre le vieux monde et le nouveau monde m’ont permis de faire certaines comparaisons. Là-bas, les traditions carcérales sont très différentes d’ici. Par exemple, les trafiquants de drogue sont sévèrement punis même à l’intérieur des murs. On les considère comme de vendeurs de la mort. Ici, la réalité est très différente. Le Québec a adopté une politique de réinsertion sociale pour les toxicomanes et la possibilité pour tout contrevenant de se rattraper. Moi, je suis fier de vivre au Québec et au Canada. Durant mon passage en dedans, j’ai la possibilité de faire du temps un ami ou un ennemi. Ça ne tient qu’à moi. J’ai même la possibilité de parler au directeur de prison et lui poser des questions dans le cadre d’un programme de communication. Alors j’en profite pour vous poser la question suivante. Si Monsieur Poutine vous invite en Russie dans le cadre d’une coopération Canado-Russe pour améliorer le système carcéral russe, est-ce que vous accepteriez ?
  • 7- Bonjour Monsieur le directeur. Je m’appelle Mehmet. Je suis québécois d’origine turque. Je suis arrivé au Québec à l’âge de 2 ans. Ça fait 33 ans que je suis au Québec, mais c’est la première fois que je fais du temps et c’est aussi la dernière. J’ai un travail qui m’attend dehors, j’ai une famille dont je m’ennuie. La prison, c’est pas pour moi. Et je suis content de le dire aujourd’hui devant le directeur de la prison. La Turquie est un pays très moderne, mais je doute qu’un prisonnier turc puisse parler devant un micro et une caméra devant un directeur de prison pour lui dire c’est la dernière fois que vous me voyez dans votre prison. Vous savez Monsieur le directeur quand je regarde cette peinture, j’ai l’impression que Bordeaux, avant d’être une prison, c’était un château. Je sais que vous avez organisé le 100me anniversaire de Bordeaux en 2012. Avant de quitter Bordeaux dans quelques semaines, j’aimerais bien connaître un peu son histoire, si tu peux nous la résumer. Merci.
  • 8- Bonjour Monsieur Landreville, je m’appelle Jus. Il y a des détenus qui souffrent de maladies mentales, leur place ce n’est pas en prison, mais à l’hôpital. J’en suis un exemple. Je suis atteint de Schizophrénie. C’est vrai que j’ai commis un petit crime, mais le juge aurait pu m’envoyer à l’hôpital au lieu de m’envoyer ici. Ce n’est pas à l’infirmerie de Bordeaux qu’on prendra soin de ma maladie mentale. J’espère que dans la prison du futur, les malades comme moi n’auront pas de place. Mon problème exige un médecin, pas un gardien. Es-tu d’accord avec moi..?
  • 9- Bonjour Monsieur Landreville, je m’appelle Claudien. Quand je prendrai ma retraite de cette prison, c’est-à-dire dans quelques semaines, je garderais comme héritage de ce passage une leçon de vie. Je ne remettrais plus jamais les pieds ici. Mon passage à Bordeaux et surtout à Souverains anonymes m’a appris une chose.. À force d’en parler avec Mohamed et mes amis Souverains, je suis arrivé à cette conscience qui sera mon héritage. En quittant l’Afrique à l’âge de 10 ans, j’ai laissé une partie de moi là bas. Avec ma famille, nous avons quitté le grand continent sans pouvoir dire au revoir à mon baobab qui était mon ami, ma maison, mon havre de paix. Cet arbre millénaire, je le montais comme on monte un cheval avec des ailes. En le quittant sans jamais donner signe de vie, l’ai le sentiment de l’avoir trahi. Je sais qu’il s’inquiète pour moi. Il se demande ce que je suis devenu. Mon projet est d’aller le retrouver pour lui donner de mes nouvelles. Je sais d’avance qu’en le retrouvant je vais me retrouver. Ça fait trop longtemps que je suis perdu. Il est temps que je retourne au bercail. À mon retour au Québec, je serais plus calme, plus serein, plus lucide. Ça c’est l’héritage que je garderai de mon passage à Bordeaux. Mais toi Monsieur Landreville, quand tu prendras ta retraite, dans quelques années, quel bon héritage tu aimerais laisser derrière toi pour les prochains directeurs de ce château ? Quelle empreinte positive tu auras laissé derrière toi ? Qu’est-ce que tu auras appris de tes années de prison ?
  • 10- Monsieur Landreville, comme tu sais, bientôt on va lancer un nouveau site web dans lequel on va pouvoir naviguer à travers 30 de Souverains anonymes. Avec tous ces archives, le site sera une véritable ouverture entre la communauté et les détenus de Bordeaux. Je sais que tu as beaucoup contribué à la réalisation des projets de Souverains anonymes. Tu as toujours été d’un soutien indéfectible à ce programme. Si tu l’as fais c’est parce que j’imagine, tu crois à la cause de la réhabilitation. J’espère que tous les directeurs et tous les gardiens de prison au Québec suivront ton exemple. Maintenant, avant de conclure, je vais te poser la même question qui a été posé à Arthur Fauteux il y a 28 ans. Si la liberté était une clef, laquelle tu nous ouvrirais : La clef de la communication, la clef de la tolérance, la clef de l’éducation, la clef de l’épanouissement ou la clef de Bordeaux..?
  • 11- Monsieur Landreville, en acceptant de venir nous rencontrer, tu donnes déjà les signes de cette prison du futur ou la réhabilitation sera l’unique objectif. Parce que sans réhabilitation aucune prison ne peut prétendre assurer la sécurité des citoyens. J’espère que d’autres directeurs de prison au Québec suivront ton exemple. Au nom de tous mes camarades, je te déclare François Landreville, Souverain anonyme.

Plus de contenus