"Des jeunes noirs tuent d’autres jeunes noirs. Ce n’est pas normal et ça fait l’affaire de quelqu’un d’autre" SA
Cinéaste et philosophe
30 Novembre 2006
Cinéaste et philosophe
30 Novembre 2006
Petit extrait
Je quitte ma cellule
Je traverse les couloirs
Je salue mes amis
Je leur dis " à plus tard "
Je n' quitte pas Bordeaux
du moins pas encore
je m'évade dans les mots
et la musique des noirs
Ma vie est un roman
Ma vie est une chanson
Qui en est l'auteur
c'est toute la question
Des questions que je me pose
en vers et en proses
Je te salue homme d'images et de mots
Et je te plaide notre cause
Jean-Daniel Lafond
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes
(Magic)
1- Bonjour Monsieur Jean-Daniel Lafond. Vous êtes le mari de la Gouverneure générale du Canada. Il y’a quelques mois Michaëlle Jean était dans ce même local pour rencontrer les Souverains. Je n’étais pas présent à cette rencontre, mais j’ai écouté attentivement cette émission. Franchement, j’aurais été heureux de faire partie de cette rencontre. J’aurais aimé moi aussi lui chanter ma chanson. Aujourd’hui, c’est devant vous que je vais le faire. Mais avant de chanter, j’aimerais moi et mes amis Souverains vous confier nos impressions sur votre dernier documentaire ‘’Le Fugitif ou les Vérités d’Hassan’’. Peut-être aussi vos révéler nos propres vérités qui sont parfois comparables à celles d’Hassan. Mais tout d’abord, avant d’aborder le film parlons un peu de vous. Mohamed nous a dit beaucoup de choses. Vous avez été d’abord prof de philosophie. Prof de cinéma puis cinéaste. Vous avez réalisé plusieurs documentaires et plusieurs créations radiophoniques. Il paraît que vous êtes surtout un intellectuel libre, votre fonction de Prince Consort, ne vous empêche pas apparemment de faire les films que vous voulez, alors si vous permettez, je vais vous poser la question la plus existentielle qu’on peut poser à un philosophe. Comment allez-vous..?
(Rollo)
2- Monsieur Lafond, je vais essayer de résumer votre film ‘’Le Fugitif ou les vérités d’Hassan’’ selon ce que j’ai compris de l’histoire. En 1980, les services secrets de la république islamique d’Iran, en complicité avec les services secrets américains, se sont servis d’Hassan dont le vrai nom est David Belfield pour assassiner l’attaché de presse du Shah d’Iran. À l’époque Hassan était un homme en colère contre le pouvoir américain qu’il soupçonne d’avoir tué Martin Lutter King et Malcom X. Des années plus tard Hassan a pris conscience du piège dans lequel il est tombé. Assassiner l’attaché de presse du Shah d’Iran a contribué en quelque sorte à l’élection de Ronald Reagan et permis la fin des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis avec la libération des otages. Bref c’est l’histoire d’un noir qui s’est fait avoir. Avant de vous confier nos commentaires et nos impressions sur votre documentaire, dîtes-moi si j’ai bien résumé l’histoire ?
(Pierre Jean)
3- Monsieur Lafond, votre film m’a profondément touché et je vais vous dire pourquoi. Moi aussi j’aurais pu devenir un Hassan. C'est-à-dire quelqu’un dont la colère aurait pu être manipulée par quelqu’un d’autre. Je me suis un peu identifié à ton personnage et je crois que je ne suis pas le seul qui a ressenti à la fois une grande sympathie envers Hassan, mais aussi un peu de colère. Je suis en prison, mais je suis conscient de la notion du mal surtout quand il s’agit de meurtre. La seule raison qui peut justifier un meurtre c’est la légétime défense. Or la question que je me pose depuis que j’ai vu votre film. En quoi Hassan était en situation de légétime défense pour assassiner un homme qui ne lui a rien fait personnellement ?
(Shubert)
4- Monsieur Lafond. Votre film commence par une phrase de Spinoza. ‘’Ni pleurer, ni rire mais comprendre..’’ Je ne connais pas Spinoza, j’ai appris que c’était un philosophe juif hollandais non croyant. En regardant votre film, il y’a plusieurs moments où nous avons ri, d’autres où nous avons eu envie de pleurer. Mais cela ne nous a pas empêché de comprendre tout le drame de cet homme. Et vous, en tant que philosophe qu’avez-vous compris vous-même de l’histoire d’Hassan..?
(Gilles)
5- Mon cher Jean-Daniel Lafond, Vous êtes comme moi un maudit français qui est devenu un québécois et peut-être comme moi vous en êtes fier. Moi je le suis depuis l’âge de six ans. J’ai vu ton film, j’ai beaucoup aimé. Je ne suis pas noir, mais je me suis beaucoup identifié à Hassan. Quand j’étais jeune, les québécois me traitaient de maudit français et les anglais me traitaient de maudit québécois. Hassan ne peut pas rentrer chez-lui. Il ne peut pas non plus sortir de l’Iran. Mon destin est moins tragique que le sien, mais j’aurais pu moi aussi mal viré si j’avais laissé manipuler ma colère par d’autres. À force d’être traité de maudits ci maudit ça, à l’âge de 13 ans je suis devenu chef de ruelle pour me défendre du mépris des uns et des autres. Il faut dire que j’avais une mère qui n’a pas aidé beaucoup ma cause. J’étais un enfant particulièrement battu. Aujourd’hui, je lui pardonne parce que c’est ma mère et parce que malgré tout je ne suis pas devenu un homme complètement raté. J’ai encore des rêves, la vie est devant moi. Mon passage en prison me fait du bien. Surtout avec un programme comme Souverains anonymes et différents invités comme vous aujourd’hui. Merci d’être venu et continue à faire d’aussi bon film.
(Magic)
6- Bonjour Monsieur Lafond. Quand je pense à Hassan, je pense à moi. Moi aussi je fais beaucoup d’exercice physique en prison. Lui, c’est en Iran qu’il développe ses muscles. Moi je développe mes muscles à Bordeaux. Quand je ne supporte plus personne autour de moi je rentre dans ma cellule et je fais 50 ou 100 push up. Car moi aussi j’ai eu beaucoup de colère et je dois avouer que cette colère, je n’ai pas toujours su la canaliser. Il y’a les raisons de la colère, moi je vais te parler des raisins de ma colère. Les raisins de ma colère ce sont des chansons, que je cri, que je chante, en anglais, en français et en créole guyanais. À force de chanter ma colère, je suis devenu un homme plus calme, très calme. J’ai même réussi un jour à calmer deux gangs ennemies et les amener à la raison. Et je me trouve de nouveau à Bordeaux. Je me trouve avec d’autres hommes en colère. Avec Bordeaux on peut faire une bombe atomique tellement il y’a des colères, des peines et des frustrations en dedans. Toute la question est de savoir comment apaiser la colère et surtout comment transformer les raisons en raisins. Je ne sais pas si c’est grâce à mes 7 enfants, mais je remercie Dieu de me donner le sourire tout les jours et chaque heure de la journée. Moi j’ai juste une petite critique à faire sur votre film. Pourquoi il dure seulement 74 minutes ? J’ai l’impression que cet homme pourrait nous révéler d’autres vérités sur la connerie humaine.
(Champion)
7- Bonjour Monsieur Lafond, je m’appelle Co, mes amis m’appellent le Chinois, mais je suis né au Cambodge. Moi je suis quelqu’un qui rit tout le temps. Mais quand j’ai vu votre film ‘’Le fugitif’’ quelques larmes ont coulé. Quand je pense à Hassan, je pense à moi. En l’écoutant je me suis rappelé ma propre histoire. À 5 ans, j’ai fui le Cambodge avec mon père et ma mère au milieu des bombardements. Nous sommes arrivés au Canada pour fuir l’enfer de Pol Pot. Je ne vous raconte pas les détails des horreurs que j’ai vécues. Bien sûr le Cambodge ce n’est pas l’Amérique, mais Hassan a posé un geste politique pour contester le pouvoir du blanc raciste. Il paye le prix de son geste depuis 26 ans. Moi je n’ai tué personne, mais le fait d’avoir été arraché à mon pays m’a fait beaucoup de mal. Je fais la prison depuis des années. J’ai l’impression parfois que j’ai quitté le Cambodge mais le Cambodge ne m’a pas quitté. Je sens en moi une guerre qui ne veut pas finir. Comme Hassan, je suis croyant et je demande à Dieu de m’aider pour m’en sortir. Dieu sera bon pour moi. Merci d’avoir eu le courage de donner l’occasion à un homme prisonnier de son passé de raconter sa vérité.
(Rollo)
8- Bonjour Monsieur Lafond. De ton film je retiens une chose, l’abus du pouvoir de l’homme sur l’homme. Hassan a tué un homme c’est vrai. Mais Bush tue des hommes, à tous les jours devant le monde entier. À cause de ses politiques meurtrières, des hommes, des femmes et des enfants tombent à tous les jours. Cet homme ne sera jamais jugé de son vivant, il n’ira jamais en prison, mais l’histoire lui réserve une page noire. Je ne suis pas à Bordeaux pour rien. Je me plains pas sur mon sors et j’assume complètement les conséquences de mon geste. Mais lui, Bush il n’assume rien. C’est à cause d’un homme comme Bush, comme Reagan que des Hassan existent et vont encore exister. Merci d’avoir fait un film pour donner la parole à un homme oublié.
(Saber)
9- Bonjour Monsieur Lafond. Je suis Saber, tunisien d’origine et québécois depuis trente ans. En regardant votre film, j’ai pensé à la colère de jeunesse de Hassan, mais j’aimerais attirer votre attention sur la colère d’autres hommes qui cachent bien leur colère mais ils font des dommages plus graves encore. Je pense à tous ces hommes de pouvoir qui abusent subtilement de leur pouvoir pour faire des torts irréparables. Je ne pense pas seulement à certains politiciens. Je pense surtout à certains patrons, à certains propriétaires et ces chefs d’entreprises qui font des mises à pieds pour des raisons économiques
(Magic)
10- J’ai regardé ton film dans mon secteur. Entouré de mes frères prisonniers. Et un moment donné, j’ai pris conscience que ton personnage Hassan est plus prisonnier en Iran que nous à Bordeaux. Sa prison est un pays et ma prison est un château. En regardant le film, je me suis senti plus libre ici entre les murs, que lui dans un pays qui ne sera jamais le sien. Moi ma sentence va finir dans quelques jours. Lui, il ne sait pas quand va-t-il quitter l’Iran et si jamais les États unis et l’Iran reprenne des relations normales, je ne voudrais pas être à sa place. L’histoire d’Hassan est une tragédie à l’image de notre époque. Dans le film on ne sait pas si Hassan à une femme et des enfants qui aurait pu rendre sa vie moins tragique. Jean-Daniel, vous avez été en Iran deux fois. Dites-moi. Est-ce que les iraniennes sont belles..?
(Rollo)
11- Monsieur Lafond, vous êtes français d’origine. Un jour Charles de Gaule a lancé à tous les québécois du balcon de l’Hôtel de ville de Montréal ‘’Vive le Québec libre’’. Je ne vous demanderais pas si vous croyez à un Québec libre dans un Canada unis, mais puisque vous êtes philosophe, quelle est votre vision de la liberté et à jusqu’où un homme peut aller pour payer le prix de la liberté ? Jusqu’à Bordeaux, Jusqu’en Iran ou jusqu’à Rideau Hall. ?
(Shubert)
12- Bonjour Jean-Daniel, je vous dis tout de suite. Vous êtes le mari de celle dont je suis tombé amoureux alors que j’avais 5 ans. Celle qui m’a appris un jour à patiner. À 5 ans j’avais déjà une blonde, elle était noire, plus grande que moi, mais j’étais fou amoureux d’elle et elle s’appelait Michaëlle. Ça ressemble à un nom d’ange. Je l’aimais beaucoup parce qu’elle prenait bien soin de ma mère. À l’époque ma mère s’est trouvé à quelques reprises dans une maison pour femmes battues. Michaëlle venait apporter du soutien moral à ma mère. Comment ne pas aimer une femme qui prend soin de votre mère ? La dernière fois que Michaëlle est venue visiter les Souverains, je n’étais pas là. Je suis arrivé à Bordeaux quelques jours après son passage. Mais puisque son mari est devant moi, je vais profiter de l’occasion pour vous demander de transmettre à Michaëlle, l’amour de mon enfance, toutes mes félicitations pour avoir été nommée au poste de Gouverneure Générale du Canada. J’aurais aimé qu’une femme comme elle soit à la tête de mon pays Haïti. Monsieur Lafond, vous êtes très chanceux d’avoir pour femme une princesse comme Michaëlle. Embrassez-la de ma part et dîtes-lui que je suis vraiment fier d’elle. Fier de son courage. Fier de sa beauté et de son intelligence. Fier de savoir qu’elle a rendu visite aux Souverains anonymes. D’avoir aller là où d’autres n’ont pas le courage d’aller. Jean-Daniel, prenez soin d’elle.
(Beauvoir)
13- Bonjour Monsieur Lafond, d’abord moi aussi j’aimerais dire toutes mes félicitations à ma sœur Michaëlle d’avoir accepté son poste de Gouverneure Générale. Maintenant j’aimerais vous confier quelque chose d’important. En 1984, j’ai fondé une gang. La gang des Master B. C’était pour se défendre des blancs. À cette époque là, le racisme était plus fort contre les noirs. J’ai quitté la gang en 92, mais le phénomène des gangs n’a pas arrêté de prendre de l’ampleur. Parfois, je me sens coupable d’avoir été un des premiers à fonder une gang de noirs à Montréal. Aujourd’hui, il faut que ça arrête. Des jeunes noirs tuent d’autres jeunes noirs. Ce n’est pas normal et ça fait l’affaire de quelqu’un d’autre. Je crois que votre film doit être vu par tous les membres de gangs de rue. Il faut aller dans les quartiers et les écoles pour le leur présenter. Par ailleurs, je suis sûr que Michaëlle peut faire quelque chose pour aider ces jeunes à se calmer un peu et prendre conscience du piège dans lequel ils sont tombés. Je crois qu’elle peut leur adresser directement un discours pour les inviter à réfléchir. Cette femme est un model pour tous les noirs. Elle est respectée par tous les noirs du Québec, je suis sûr que son discours ne sera pas inutile. Je sais qu’elle a déjà appelé à briser les solitudes entres francophones et anglophones du Canada. Je crois qu’elle sera mieux entendue si elle appelle tous les Hassan en puissance du Québec à exprimer leur colère autrement que par la violence et par le crime. En tout cas, je lui dis Merci d’avance parce que je sais qu’à sa manière elle fera quelque chose. D’ailleurs vous-même, en réalisant ce film et surtout en le projetant à Bordeaux vous faîtes déjà quelque chose pour nous. Merci Monsieur Lafond.
(Pierre Jean)
14- Monsieur Jean-Daniel Lafond, il y’a deux personnes de votre famille que j’aime bien, c’est votre femme Michaëlle et votre fille Marie-Eden. Alors comme je suis un dessinateur, j’ai pris le temps de faire des portraits de votre famille mais avant de vous montrer le résultat, j’aimerais vous raconter un rêve. Alors que j’étais en train de dessiner Michaëlle et Marie-Eden dans une cellule de Bordeaux, je me suis rendu compte que les personnes que je dessine vivent à Rideau Hall. Je crois que c’est un endroit un peu plus grand que ma cellule. Alors sans me rendre compte, j’ai commencé à rêver un peu. Je me suis imaginé vivre à Rideau Hall. Pierre Jean Cherry, Souverain de Rideau Hall. Après une femme noire nommé Gouverneure Générale du Canada, pourquoi pas un homme noir qui pourrait un jour occupé ce poste. Mais là je vais arrêter de rêver. Un homme noir au poste de Gouverneur Général ? Peut-être un jour. Mais un homme noir avec un dossier criminel ? Jamais. Alors je vais me contenter de savoir que mes dessins seront peut-être accrochés sur les murs de Rideau Hall. Voici le résultat de mon travail.
(Rollo)
15- Monsieur Lafond, c’est encore Rollo, à notre demande, Mohamed nous a montré plusieurs photos du voyage officiel de Michaëlle Jean en Afrique. J’ai après qu’hier, mercredi le 29 novembre 2006, au Ghana, la Gouverneure générale du Canada a fondu en larmes, en visitant un endroit qui a déjà été, le point d'envoi d'esclaves vers le continent américain. Le Elmina Castle, c’est une forteresse dans laquelle, paraît-il, il y’a des salles avec des clôtures d'acier où on maintenait les esclaves en captivité avant leur long voyage vers l'Amérique.
Moi et Michaëlle nous avons un point commun. Nous sommes tous les deux des descendants d’esclaves. C’est normal qu’elle soit émue. L’esclavage n’existe plus, mais on peut parfois se poser des questions s’il n’a pas pris seulement d’autres formes.
Je retiens de votre film la phrase du grand frère d’Hassan qui dit ‘’être noir ce n’est pas une excuse, mais une condition’’. Mais comment expliquer cette phrase à beaucoup de noirs qui vivent encore des conditions de discrimination, de racisme de manque d’égalité de chance à l’emploi. Les noirs au Québec sont les plus diplômés, mais aussi ils connaissent le plus haut taux de chômage.
Je vous dis Monsieur Lafond, j’ai peur que parmi les noirs du Québec d’autres Hassan connaissent le jour. Les gangs de rue c’est déjà pas normal dans une société dite juste, égalitaire et démocratique. J’espère qu’après l’Afrique, Michaëlle Jean continuera à visiter l’Afrique qui existe au Canada. Tous mes souhaits de réussite pour elle et pour vous dans vos fonctions. C’est Rollo qui vous dit Bonne chance.
PS : En passant, c’est vous avez d’autres films à nous montrer, ici on est pas très sorteux.. !
(Magic)
16- Monsieur Jean-Daniel Lafond. J’espère pouvoir regarder d’autres films de toi ici ou ailleurs. J’espère que votre film ‘’Le fugitif’’ ne sera pas regardé seulement dans les festivals. Ce film doit être regardé par ceux qui les concernent. Je pense particulièrement à ces jeunes qui ne savent pas qui sont-ils ? C’est la première fois que vous mettez les pieds à notre émission, ce n’est peut-être pas la dernière fois. Nos salutations à Michaëlle et à Marie-Eden, au nom de tous mes camarades, je vous déclare Jean-Daniel Lafond Souverain anonyme.