"Leur bonheur s’accomplit sur une planche Leurs paroles immobilisent une branche"
Pièce de Théâtre de Léo Levesque
12 Septembre 1996
Pièce de théâtre de Léo Levesque
12 Septembre 1996
Extrait de la pièce
Le chant d'amaryllis
Avec Lyne Rodier
Jeudi 12 septembre 1996
Sainte-Vièrge
Dis-moi que je rêve
Ce sont les troubadours en personnes
Leur bonheur s’accomplit sur une planche
Leurs paroles immobilisent une branche
Leur question c’est être ou ne pas être
Et ma question: Quand est ce que mon étoile va paraître
Pierre Rivard, Lyne Rodier, Jean-Pierre Bourassa et Marie Philippe
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes
1- Bonjour Jean-Pierre, bonjour Lyne, bonjour Pierre, bonjour Marie. Avec vous aujourd’hui, la prison de Bordeaux se transforme en un grand théâtre populaire ou la parole est une source de liberté. Vous êtes donc particulièrement les bienvenus parmi les Souverains de Bordeaux. Vous êtes les premiers invités de notre programmation d’automne. « Liberté, création et espace » est le thème de notre programmation, ça veut dire que le théâtre est notre champ d’exploration. Et pour bien commencer notre initiation au théâtre, nous vous avons invité pour nous faire une démonstration. Mais avant de faire trembler les planches de ce château, faisons d’abord connaissance. Qui êtes vous, d’où venez-vous et comment avez-vous attrapé le goût de jouer la comédie à votre tendre enfance..?!?
2- Pierre Rivard, Lyne Rodier, Jean-Pierre Bourassa et Marie Philippe, vous avez participé à l’interprétation de la pièce « Le chant d’amaryllis » écrite par Léo Lévesque qui n’a pas eu la chance encore
de voir sa propre création interprétée sur scène par des comédiens professionnels. Léo Lévesque est détenu dans une prison fédérale. Dans un petit mot adressé aux spectateurs avant la présentation de la pièce, Léo Lévesque a écrit ceci:
« Je suis ailleurs. Mais vous entendrez le respire d’une voix portée par d’extraordinaires interprètes et vivrez, je l’espère, l’émotion qui vous revient. Nous avons bandé la corde à l’arc et maintenant la flèche siffle par delà les rues, il ne vous reste plus qu’à l’entendre. Espérant qu’elle vous transpercera le coeur, non pour vous tuer, mais pour mieux vous faire renaître.. »
Ma question est de savoir de quelle façon avec les personnages de Léo Lévesque vous avez communiqué au public l’effet d’une renaissance..?
3- Moi je veux savoir qu’est ce que ça vous fait d’interpréter des mots qui ont été écrits derrière les barreaux..? Et comment avez-vous fait pour incarné un univers qui n’est pas le votre..?
4- Je me suis toujours posé une question à laquelle je vais enfin avoir une réponse puisque j’ai devant moi des vrais comédiens en chair et en os. Voici ma question: Est ce que nécessairement il faut savoir mentir pour savoir jouer la comédie..?
5- Moi la dernière fois que j’ai joué la comédie c’était devant un juge. Résultat, je suis devant vous. A force de passer devant les juges, je suis devenu comédien, aujourd’hui mon théâtre est une prison. Mes spectateurs sont des gardiens et mon salaire c’est le sourire de ma blonde à ma sortie. Vous les artistes comédiens, on vous paye pour jouer de la comédie. Nous les détenus comédiens on paye pour avoir joué la comédie.. Où est la justice dans tout ça. Je vous pose la question..?!?
6- Salut Marie Philippe, la dernière fois que tu a été parmi nous, on t’avait dit « Jamais trop de tendresse venant de toi ». Aujourd’hui, tu es parmi nous pour la sixième fois, alors je te le répète Marie « Jamais trop de tendresse et de générosité venant de toi » N’est ce pas les gars. (OUI).
Marie, on m’a dit que tu as une tendresse particulière pour les chevaux. Comme tu sais, on ne peut pas aimer les chevaux sans aimer les arabes. Mais là n’est pas ma question. Ce que je veux savoir comment trouves-tu ton expérience théâtrale avec des contes qui racontent des histoires pas toujours très drôles..?
7- Je vais vous raconter une petite histoire qu’aucun citoyen aussi honnête soit-il n’est à l’abri de vivre un jour:
C’est jeudi le 12 septembre 1996, je suis libéré. Je me trouve à la porte de Bordeaux. Personne ne m’attend. Je sors d’une prison qui s’appelle Bordeaux et j’entre dans une autre qui s’appelle la réalité. Et ma réalité à moi, c’est que je n’ai pas un christ de cent dans mes poches pour prendre le 69. J’ai oublié de demander un ticket d’autobus aux gardiens de l’hôtel 5 étoiles que je viens de quitter. Je retourne vers le portail vert de Bordeaux. En levant la main pour frapper, une main providentiel surgit soudainement du ciel pour m’arrêter. Une voix céleste me dit:
« Hé toi le confus, tu t’ennuies déjà de ton château.. Tu t’ennuies de ton quatre par huit.. Tu t’ennuies de tes stores métaux verticaux.. Tu t’ennuies de ta tombe.. Tu t’ennuies de ton demi.. Tu t’ennuies de tes anges gardiens.. Tu t’ennuies de tes substances douteuses.. Tu t’ennuies de ton pigeon que tu as si bien élevé.. Tu t’ennuies de la sentinelle qui se régale de sa clientèle.. Tu t’ennuies des coquerelles qui dansent au rythme des portes qui claquent.. Hé le confus, tu t’ennuies de qui..? Tu t’ennuies de quoi..? Et pourquoi..?
T’as pas un cent dans les poches, mais t’as du coeur au ventre, une tête sur les épaules et deux pieds pour marcher longtemps, jusqu’à la rue du bonheur..Ah way, ramasse tes clics et tes claques et tourne le dos à cette porte d’enfer à jamais..»
8- Pierre Rivard, Lyne Rodier, Jean-Pierre Bourassa et Marie Philippe, le moment est venu de passer de la parole à l’action. Une action théâtrale, une action dramatique avec les mots de Léo Lévesque et avec votre coeur, votre corps et votre musique. A vous l’honneur de jouer « Le chant d’amaryllis » et à nous de vous applaudir (applaudissements).
9- (Les réactions des Souverains après la présentation de la pièce)
10- J’aimerais m’adresser à l’auteur de la pièce « Le chant d’Amaryllis » qui se trouve actuellement dans une autre prison et qui écoute notre émission. Merci à toi Léo Lévesque d’être ce que tu es. Un écrivain de grand talent qui sait de quoi il parle. Merci Léo d’exposer la détresse humaine avec poésie, tendresse et compassion. Merci de ne pas nous plonger dans le misérabilisme. Et surtout merci de nous montrer une autre façon de faire son temp en dedans. Je ne sais pas si le goût d’écrire t’es venu avant ou pendant ton incarcération, chose certaine, avec l’écriture tu ne peux trouver meilleur moyen pour t’évader, t’épanouir et conserver ta liberté d’esprit. J’espère que très prochainement, nous les Souverains anonymes, nous pourront t’accueillir à notre émission. Je pense que nous aurons beaucoup de chose à nous dire. En attendant ta visite parmi nous, je te souhaite au nom de mes camarades une bonne santé morale et physique et continue de nous toucher avec tes histoires (applaudissement).
6- Pierre, Lyne, Jean-Pierre et Marie,
Ce soir, je fermerai les yeux dans ma cellule pour vous revoir dans ma mémoire.
Ce soir, dans ma tête, il n’y aura pas de nuage gris et de lune blême
Il n’y aura même plus de murs café-crème
Ce soir ma cellule sera une scène
avec des éclairages d’été, des décors de printemps et un rideau d’eau pour laver ma haine.
Sur ma scène il n‘y aura pas de porte ni de fenêtre.
Il n’y aura pas non plus de question «être ou ne pas être ».
Ce soir, je fermerai les yeux sans comprendre ce qui m’arrive.
Il n y a rien à comprendre dans le bonheur quand il arrive..
Ce soir, demain soir et pour toujours,
je garderai de votre passage parmi nous, braves hommes et belles femmes,
du rose pour mon âme..
Pierre Rivard, Lyne Rodier, Jean-Pierre Bourassa, Marie Philippe et Léo Lévesque, au nom de tous mes camarades, je vous déclare Souverains anonymes. (Applaudissements).