23 avr. 1998 | Vidéos, Débats de Souverains, Audios, Rencontres, 1996 à 2000

Marc Chabot

« Il n’y a pas de dernier mot sur le suicide »

Marc Chabot 1

Écrivain et professeur de philosophie.

23 avril 1998

Marc Chabot 2

Écrivain et professeur de philosophie.

23 Avril 1998

Première Partie

Deuxième Partie.

Extrait vidéo.

Mercredi 23 avril 1998


Je quitte ma cellule

Je traverse les couloirs

Je salue mes amis

Je leur dis « à plus tard »

Je n’ quitte pas Bordeaux

du moins pas encore

je m’évade dans les mots

et la musique des noirs

Ma vie est un roman

Ma vie est une chanson

Qui en est l’auteur

c’est toute la question

Des questions que je me pose

en vers et en proses

Je te salue Marc

Et je te plaide ma cause

Marc Chabot

Bienvenue parmi les

Souverains anonymes

1- Bonjour Marc Chabot, c’est un plaisir particulier pour nous aujourd’hui de recevoir pour la première fois à Souverains anonymes un professeur de philosophie. Tu es aussi écrivain, poète et auteur de plusieurs chansons connues dont « L’ange vagabond » qui est une de mes chansons préférées. Ton dernier livre s’intitule « En finir avec soi » sur le suicide. Mais avant d’aborder ce sujet grave, faisons d’abord connaissance et parle nous un peu de toi.

Parle-nous de ton enfance, de ta jeunesse comme pensionnaire.. et dis-nous comment en 1966, une chanson comme les Désespérés de Brel, te donnait beaucoup d’espoir..?!?

2- Salut Marc. Tu as écris un livre de 161 pages sur le suicide que tu as intitulé « En finir avec soi ». D’habitude, le suicide c’est le domaine des psychologues, des sociologues et des staticiens. Alors, qu’est ce qu’un philosophe peut dire de différent que le psychologue ou le sociologue sur le suicide...?!?

3- Salut Marc, si tu permets, soyons concrets. Supposons qu’en faisant une marche sur la rue Parthenais à Montréal, rendu au pont Jacques Cartier, tu surprends un jeune homme de 20 ans sur le point de se jeter au fleuve. Tu n’es pas un psychiatre, tu n’es pas un psychologue. Tu es un philosophe. Comme un bon citoyen, tu veux prêter assistance à une personne en danger. Qu’est ce que tu fais.. Et surtout, qu’est-ce que tu dis à ce jeune homme qui commence à trouver l’eau du fleuve douce et profonde..?!?

4- Salut Marc, tu dis dans ton livre que le suicide est une manière comme une autre de quitter la vie. Si je comprends bien le suicidé ne doit pas être jugé ni comme un lâche, ni comme un courageux. Pourquoi alors, tu ressens une admiration particulière pour les suicidés..?!?

5- Généralement un suicide est l’aboutissement d’une longue souffrance. Mais tous les gens qui souffrent ne passent pas à l’acte. Quelle explication philosophique peux-tu donner à un tel énigme..?!?

6- Salut Marc, tous nos rêves et nos espoirs ne se réalisent pas, moi par exemple, à l’âge de huit ans je vendais le pop corn au stade Olympique de Montréal. À chaque match des Expos, moi je rêvais de courir sur le gazon et lancer la balle à Gary Carter. Devenir lanceur de base-ball, c’était un de mes rêves. Aujourd’hui, je ne suis pas un lanceur, je suis un voleur. Je n’ai pas de honte à le dire. Chacun à son métier. J’aurais pu devenir un gardien de prison. Mais ça, c’est un métier qui ne se rêve pas. Je ne connais personne qui s’est suicidé parce qu’il n’est pas devenu gardien de prison. Mais devenir voleur, ça c’est un rêve que j’ai réalisé très jeune. Pour attirer l’attention de mes amis, j’étais prêt à n’importe quoi. Quelque chose me dit que le taux de suicide chez les voleurs ne doit pas être très fort.. « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier », c’est le titre d’un petit livre qui t’a bouleversé. Moi, mon besoin de consolation je l’ai rassasié avec le vol.. Sans violence, et sans regrets.. Dis-moi Marc, ne faut-il pas mieux vivre dans l’illégalité que de mourir sans avoir vécu..?!?

7- Salut Marc, je m’appelle Luc. Moi, quelqu’un qui met fin à sa vie, c’est son affaire. Quand il emporte avec lui ses enfants et parfois même sa femme, j’ai des doutes sur le sens qu’il veut donner à sa mort.. Qu’est-ce que tu en penses..?!?

8- Salut Marc, je m’appelle Alain. Comment tu peux expliquer philosophiquement

le suicide qui prend une forme de don total de soi à une cause politique ou religieuse..?!?

9- Salut Marc, le sens du suicide chez certaines cultures, n’est pas le même chez d’autres. Prenez par exemple, les japonais dans le temps des Samouraï, avec le hara-kiri on se donnait la mort pour l’honneur. Chez certaines tribus amérindiennes les vieux se laissaient mourir dans la nature. Aujourd’hui au Québec, le taux de suicide chez les jeunes est un des plus élevé au monde. Je ne connais pas de référence culturelle qui poussent les jeunes québécois à se suicider. Ils ne sont pas tous des fans du leader du groupe Nirvana.. Y’a t-il une culture du suicide propre au Québec..?!?

10- Salut Marc, tu écris dans ton livre que nous sommes responsables du suicide des autres.

Tu parles du partage de la souffrance. Donner l’espoir. Mais tu sais bien Marc qu’il y a des suicides non annoncés. Quand ton meilleur ami, avec qui tu joues le tennis régulièrement, se donne la mort un dimanche matin, mine de rien, t’as beau cherché un signe. Rien. Surtout quand il part sans laisser aucun mot.. Comment se sentir responsable du suicide de quelqu’un qui n’annonce pas sa mort..?!?

11- Salut Marc, tu parles dans ton livre des vertus du silence. C’est vrai qu’on a jamais entendu parlé qu’un moine s’est suicidé. Mais il y a toutes sortes de silences. Ceux qui apaisent et ceux qui écrasent. Celui d’une église ou d’une bibliothèque n’est pas le même que celui d’une cellule de prison. Bien que certains détenus, comme moi, se sentent mieux dans leurs cellules que dans la chapelle. En fait, quelques soit l’endroit, le meilleur silence qu’on peut se souhaiter, c’est le silence intérieur. Celui que je pratique, peu importe l’endroit.

Le silence intérieur, ne serait-il pas un bon remède contre le suicide..?!?

12- Salut Marc, moi je suis le contraire de mon ami Alain. Le silence me tue. La parole me fait vivre. Je dirais même que j’ai survécu par la parole. Je suis un verbo-moteur de naissance. Je viens à Souverains anonymes, parce que c’est la meilleur tribune pour moi à Bordeaux. Ici, je peux dire ce que je veux. J’ai un public fidèle qui m’entend dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas. Quand je lis sur les murs des meetings AA « Pensez et Méditez », je ne pense pas, je ne médite pas, je ris, puis je parle. Parler pour moi, c’est une jouissance et c’est le meilleur remède que je peux souhaiter à un suicidaire.. Es-tu d’accord avec moi Marc..?!?

13- Salut Marc, j’aime ce proverbe qui dit « Ne déplore pas le fait de vieillir, car plusieurs ne connaissent pas ce privilège » Qu’on vieillisse mal ou qu’on vieillisse bien, vieillir est un morceau de la vie qui n’est pas donné à tout le monde. Nous venons de perdre une femme de 117 ans. Si elle avait vécu après l’an 2000, elle aurait traversé trois siècle et passé d’un millénaire à un autre.. Je ne comprend pas les jeunes pressés à mourir. Mais je comprends le désir de vieillir. La vieille du film Titanic, me donne plus envie de vivre que le dernier jeune qui s’est jeté sous les rails du métros de Montréal. Voilà, c’est tout ce que je voulais dire..

14- Salut Marc, je m,appelle Giovanni. dans ton livre, tu cites le romancier suédois Dagerman Stig qui pensait que le suicide est la seule preuve de la liberté humaine. Moi, je suis passé proche mettre fin à mes jours parce que je n’étais plus libre de rien. Peut-être parce que j’ai abusé de ma liberté, en tout cas je dois ma vie aujourd’hui à ma femme et ma famille. Et j’essaie de gérer mieux ma liberté. Dis-moi Marc, comment peut-on être plus libre mort que vivant..?!?

15- Salut Marc, je trouves qu’en occident les gens ont tendance à donner une explication à tout. Ils ne supportent pas de ne pas comprendre, surtout quand il s’agit d’échec. Dans les pays de tiers monde, les gens ont moins cette obsession, peut-être parce qu’ils sont plus nombreux à croire à une puissance supérieure. Et pour cause, le suicide dans le tiers monde n’est pas très élevé. Malgré la misère et malgré la famine. Derrière le phénomène du suicide en occident ne se cache t-il pas cette obsession à tout comprendre, même l’incomprenable..?!?

16- Marc Chabot, comme tu dis dans ton livre « En finir avec soi », « Il n’y a pas de dernier mot sur le suicide », les suicidés arrêtent de parler, mais pas nous. Ton livre, je vais l’acheter à ma sortie. Je vais le lire et le relire. Ce n’est pas un rêve, c’est un projet. Ton livre me redonne le goût de la littérature. Tu aurais pu écrire un roman. Tu l’écrira peut-être un jour. Je trouve ton écriture belle. Certaines phrases me vont droit au coeur. J’ai envie de les chanter. Je vais les chanter ici et maintenant.

Comme toi Marc, je crois sincèrement que se sont les choses simples qui nous maintiennent en vie et nous éloignent de l’idée du suicide comme les phrases bien écrites et bien chantées.

Merci Marc Chabot d’écrire, merci d’être venu nous parler. Au nom de tous mes camarades, je te déclare Souverain anonyme.

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