25 août 2010 | Rencontres, Débats de Souverains, Entrevues, 2006 à 2010, Audios

Mohamed et Boogat

« Il ne passe pas une journée sans que je chante »

Mohamed et Boogat 1

Rappeur - Slameur!

25 Août 2010

Mohamed et Boogat 2

Rappeur - Slameur!

25 Août 2010

Je quitte ma cellule
Je traverse les couloirs
Je salue mes amis
Je leur dis " à plus tard "

Je n' quitte pas Bordeaux
du moins pas encore
je m’évade dans les mots

et la musique des noirs

Ma vie est un roman
Ma vie est une chanson
Qui en est l'auteur
c'est toute la question

Des questions que je me pose
en vers et en proses

Je vous salue hommes de paroles et de musique
Et je vous plaide notre cause

Mohammed et Boogat
Bienvenue parmi les Souverains anonymes


01- Bonjour Mohammed, Bonjour Boogat, je m’appelle Georges, c’est un plaisir pour nous les Souverains de recevoir un alchimiste des mots et un magicien de musique. En écoutant le premier album de Mohammed ‘’L’ombre d’un doute’’, on sent bien que votre rencontre est un rendez-vous écrit au ciel. Le destin a voulu que deux artistes, un latino et un arabe, se croisent à Montréal pour accoucher d’une œuvre poético-musicale appelée ‘’L’ombre d’un doute’’. Sans l’ombre d’un doute, on peut déjà dire que cette collaboration est fructueuse. J’imagine déjà la France et bien d’autres pays francophones faire appel à vous. On appelle ça le slam, un genre relativement nouveau. Mais avant de vous entendre nous présenter quelques pièces de l’album et avant d’entendre nos témoignages, faisons mieux connaissance. Comme vous constatez, nous les Souverains, nous sommes de toutes les origines. Haïtiennes, jamaïcaines, chiliennes, algériennes, tunisiennes, marocaines, zaïroises, amérindienne et même québécoises. Moi par exemple, je suis québécois d’origine camerounaise, arrivé à l’âge de six ans au Québec. Toi Mohammed, tu es né en Algérie et toi Boogat, tu es né à Beauport pas loin de Québec, mais tu es d’origine sud américaine. Il paraît même que vous avez le même âge, 40 jours vous séparent l’un de l’autre. Alors, parlez-nous un peu plus des origines. Vos origines..?

2- Bonjour Mohammed, Bonjour Boogat. Je m’appelle Farès. Je viens du même pays que toi Mohammed, l’Algérie. Si je ne me trompe pas, je crois que toi et moi, nous avons été témoins de choses terribles qui se sont passées dans les années 90. On ne racontera pas les détails des massacres dont nous avons été témoins et que nous avons dû fuir. Le Canada nous a accueillis. Le Québec nous a adopté. Chacun vit avec son passé au fond de lui. Rares ceux ou celles qui en parlent. Parce qu’on veut oublier. Toi tu t’es permis d’écrire alors que d’autres se sont permis de taire. Dans ton album, tu ne fais presque jamais allusion directement au drame algérien, mais j'ai l’impression que chaque mot de ta poésie n'est pas étranger à ce drame. Je ne cite qu’une phrase de ta pièce ‘’Larme’’ quand tu dis : Comme un arbre sans feuilles, je suis une larme sans deuil. Est-ce qu’on réussit à faire le deuil sur un drame dont on en a été témoin..?

En tout cas, en écoutant ta pièce ‘’L'ombre d'un doute’’ je me suis dis spontanément, ‘’malgré le doute, je continue ma route’’.

03- Bonjour Mohammed et Boogat, je m’appelle Sony Star. On peut dire que moi aussi je chante. Mon style c’est le raggae. Mais j’aime toute musique bien composée, bien jouée, bien enregistrée. J’aimerais rendre un hommage particulier à toi Boogat pour deux raisons : D’abord, parce que tu es particulièrement talentueux pour créer un bon son, une belle musique. On a envie de chanter sur ta musique, peut-être que plus tard, je le ferai. Et deuxièmement parce que tu as mis ta propre carrière en suspens pour te consacrer à la carrière de Mohammed. Moi aussi je trouve les paroles de Mohammed profondes et songées, mais j’aimerais savoir de toi Boogat, qu’est-ce qui tu as aimé particulièrement dans ses textes pour lui consacrer tout ton attention..??

04- Bonjour Mohammed et Boogat. Je m’appelle Haatym. Dans ta chanson ‘’Mon ami’’, j’ai retenu ‘’Les amitiés évaporées, les fraternités disparues’’. Si aujourd’hui, je suis entouré de murs c’est parce que j’ai cru qu’un ami vaut plus qu’un trésor. J’ai peut-être mal choisi mes amis. Je sais pas. Mais, comme tu dis si bien : ‘’Chacun son orgueil, chacun son parcours’’. Moi mon parcours, pour l’instant il m’a amené ici. J’essaye d’en prendre le contrôle pour qu’il m’amène ailleurs, loin. Le plus loin possible. Quelque part entre la Méditerranée et l’Atlantique. Proche des miens. Proche de la mer. Ici, au Québec, parfois j’ai l’impression d’être comme toi, ‘’Un touriste à temps plein. Un touriste qu’on accentue’’. Et pourtant, je suis né ici. Tu dis aussi que ‘’ta violence c’est le résultat de ta peur’’. Je crois qu’à l’origine de tout ce qu’on fait de mal, il y a une peur. Et comment se délivrer de cette peur? Peut-être en revenant aux racines. Je sais pas. Et toi le sais-tu..?

5- Bonjour Mohammed, c’est encore Georges, c’est vrai que ton album est plutôt triste. Et moi la tristesse j’essaye de la fuir. Surtout quand je me trouve en prison (en passant c’est mon dernier passage ici). Alors, je ne manque jamais d’occasion pour rigoler surtout à Souverains anonymes. Mais en écoutant ton album, j’avoue que je ne suis pas arrivé. Ça ne rigole pas trop dans ton album. Dans tes clips non plus. Après l’écoute de chaque pièce, le mot qui me venait spontanément c’est : PROFOND. C’est sûr qu’il m’arrive moi-même d’être profond et triste quand je vois toutes ces misères et toutes ces guerres dans le monde. Mais si je tiens à être joyeux c’est pour ne pas en rajouter à la tristesse du monde. D’ailleurs si les humoristes ont beaucoup de succès, c’est pour nous faire oublier un peu tous ces drames. Mais on aura toujours besoin de personnes lucides comme toi pour nous rappeler que ‘’c’est toujours les mêmes riches, c’est toujours les mêmes pauvres. Et qu’ils ne boivent même pas de la même eau’’. C’est vrai qu’on entend trop d’humoristes mais pas assez de poètes. Le slam est peut-être une façon de rendre la poésie plus accessible? Je ne sais pas, mais je le souhaite en tout cas. À propos de ‘’Je ne sais pas’’, une pièce que nous avons écouté plusieurs fois, j’ai écris ceci :

Je sais que tu ne sais pas.

Mais je ne sais pas ce que tu sais

Je me questionne sur ce que c’est

Élaborons sur ce sujet

Je m’intéresse à cet effet

Quand on sait on croit que c’est un fait

Mais quel fait peut nous faire croire que ce qu’on pense est vrai

Un jour un homme sage a dit, ‘’je sais que je ne sais rien’’

Il avait 80 ans, moi je n’ai que trente.

Puisque en ce monde tout ce qui se fait se défait

Les faits pour moi sont écrits sur un tableau avec de la craie

On efface et si on veut, on en met

Ce que hier je savais aujourd’hui, n’est pas, n’est plus..

C’est pour ça que demain,

je m’en irai, je m’en vais

et je dirai je sais pas..

Maintenant voici ma question de journaliste patenté et je l’adresse à vous deux Mohammed et Boogat. Croyez-vous que le slam a un avenir au Québec..?

06- Bonjour Mohammed, c’est encore Sony star. À propos de ta pièce ‘’je sais pas’’, tu as construis autour d’une phrase qu’on utilise quotidiennement un ensemble de questions existentielles, mais mine de rien, ces questions portent plus de réponses qu’il ne paraît. Je dirais que ce sont plutôt des points d’exclamation que tu poses. Par exemple, quand tu poses la question sur la pédophilie en te demandant ‘’Est-ce que c’était comme ça avant mais on n’osait pas le dire? Ou l’avouer ? Ou le dénoncer ?’’. Il me semble que la réponse est dans la question. Parfois on dit ‘’je sais pas’’ parce qu’on en sait trop. Par exemple, ne me demande pas pourquoi je suis à Bordeaux. Je le sais trop. Mais je te le dis pas..! Demande-moi plutôt si je vais faire continuer à écrire des chansons, si je vais faire d’autres clips, la réponse est oui.. D’ailleurs, je vais le faire maintenant devant vous :

07- Bonjour Mohammed et Boogat, je m’appelle Cédric. Moi je n’ai pas eu le plaisir d’écouter votre album. Alors, je vais vous parler de moi un peu. Avant d’entrer à Bordeaux, je travaillais dans une mine d’or dans le nord très loin des ports. Je gagnais 55$ de l’heure. Je travaillais 70 heures par semaine. Mineur c’est un métier difficile qu’on ne fait pas toute sa vie. D’ailleurs, certains y laissent leurs vies. Trois collègues à moi sont morts sous l’or. Dans la mort, tout l’or du monde ne sert à rien. Ni argent, ni diamant, ni rien. J’aurais pu être un ces trois hommes écroulés sous l’or. Je préfère encore la vie, même avec pas grand-chose, juste un peu d’amour, de la belle musique et une bière de temps en temps.. Merci la vie. Merci à vous!!

08- Bonjour Mohammed et Boogat. Je m’appelle Jonathan Lobo. Je suis de plusieurs origines. Né en France, de père brésilien et de mère zaïroise, je vis au Québec depuis 11 ans et tout le monde me prend pour un haïtien. Je parle plusieurs langues : Lingala, Portugais, Français, anglais et un peu de créole. Mais connaître toutes ces langues ne m’aide pas à trouver une réponse à cette question. Quand je vais quitter Bordeaux, est-ce que je vais revenir ? Je ne sais pas. Je sais que je ne veux pas revenir, mais la vie parfois est tellement plus forte que notre volonté qu’on ne sait plus quoi faire, quoi choisir. On ne sait pas. Mais je vous regarde tous les deux et je m’inspire de votre parcours. Je me dis, pas besoin de passer par Bordeaux pour devenir quelqu’un. Pour devenir Souverain. Maître de son destin. Toi Mohammed, avec ce que tu as vu et vécu en Algérie, tu aurais pu viré dans la violence, mais peut-être que tu as trouvé dans l’écriture une délivrance.. Est-ce que je me trompe..?

09- Bonjour Mohammed et Boogat. Je m’appelle Tompson. Dans un de tes textes, tu répètes souvent que tu ne sais pas et ben moi non plus. Je ne sais pas toujours. Y’a-t-il une vie après la mort? Je ne sais pas, parce que je n’ai jamais été mort. Y’a-t-il une vie après Bordeaux ? Ça je le sais, parce que je suis encore vivant. J’ai le choix de faire de ma vie un enfer ou un paradis. À Bordeaux, je ne suis ni dans l’un, ni dans l’autre. Le temps s’est arrêté. Le temps de réfléchir. Réfléchir et rêver. Rêver de voyage. Tu as déjà été au Panama. Moi je rêve du Cameroun. C’est là que je suis né. Y a-t-il une vie pendant Bordeaux..? Je crois que oui, parce que vous êtes là. Mohammed et Boogat à Souverains anonymes. Et je vous remercie.

10- Bonjour Mohammed et Boogat. Mon nom d’artiste c’est Master Tib. Moi c’est ta pièce ‘’l’Ombre d’un doute’’ qui me rappelle mon propre doute quand par exemple avant de monter sur scène, j’ai le track. Je ne sais jamais comment je vais rendre ma performance. Ce doute là est important, il donne beaucoup d’adrénaline. Toi Mohammed, tu es à ton premier album, j’imagine que tu as dû douter avant de te lancer officiellement dans l’arène du show bisness. Tu ne semble pas un gars de compromis. Quel compromis tu ne feras jamais pour satisfaire les faiseurs d’images..?

11- Bonjour Mohammed et Boogat. Je m’appelle Réjean. À 62 ans, je devrais savoir plus de choses sur la vie que lorsque j’avais 20 ans. Et pourtant, j’ai encore des questions. Par exemple depuis que je suis à Bordeaux, je sais que les membres de ma famille m’aiment toujours, mais sont-ils encore fiers de moi. Ça, je ne le sais pas. Parfois, je me dis oui, parfois je me dis non. Je ne le sais pas. Ce n’est pas toujours évident à vivre comme question. Par ailleurs, une de tes chansons s’appelle : ‘’Il faut que j’écrive’’. Ça m’a rappelé que ce qui me manque beaucoup à Bordeaux c’est l’écriture. Dehors, j’écrivais beaucoup. Parfois des journées entières. Écrire des factures et des reçus à mes clients, c’est un plaisir qui me manque ici. Mais peut-être qu’en attendant de revenir aux factures, je vais me mettre à écrire des poèmes et des chansons moi aussi. J’aurais au moins gagné ça de mon passage à Bordeaux. Et qui sait..? Peut-être que ma famille sera fier de moi. Je ne sais pas, mais ça vaut la peine d’essayer. En tout cas Merci à vous deux, Mohammed et Boogat, d’être aussi inspirants.

12- Mohammed et Boogat, votre pièce ‘’Il faut que j’écrive’’, aurait pu s’appeler ‘’Il faut que je chante’’, mais tu ne chantes pas Mohammed, tu slames, moi aussi il m’arrive de slamer, mais ce dont je ne peux pas me passer c’est chanter. ‘’Il faut que je chante’’. Il ne passe pas une journée sans que je chante, n’importe quoi, mes chansons ou celles des autres, du R&B, de la balade, du rap, il faut que je chante, c’est ce qui me garde léger, ce qui me garde vivant. Alors avant de passer à la musique de Boogat et les paroles de Mohammed, voici ma petite dernière chanson de circonstance ‘’Show time’’ .………… Maintenant, à vous de chanter et à nous de vous applaudir.

13- Mohammed et Boogat. C’était un plaisir et un honneur de vous recevoir à notre émission aujourd’hui. Je ne sais pas si je vais vous revoir un jour, mais si cela arrive, ça ne sera pas à Bordeaux. Ça sera soit à votre show ou à mon show.. Qui vivra verra. Je salue votre collaboration. Je vous souhaite le succès, le bonheur et la santé. Et aux noms de tous mes camarades Souverains, je vous déclare Mohammed et Boogat, Souverains anonymes.

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