1 août 2002 | Audios, Débats de Souverains, 2001 à 2005, Reportages

Rue de l'enterrement

« Un documentaire de Mohamed Lotfi »

Rue de l'enterrement / Introduction

Jimmy et Carle-Henry témoignent après leur déportation en Haïti

1 Août 2002

Rue de l'enterrement / Documentaire

Jimmy et Carle-Henry témoignent après leur déportation en Haïti

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Le Canada reçoit annuellement des milliers d'hommes et de femmes de partout dans le monde. Mais il arrive souvent que le Canada renvoie à leurs pays d'origine des immigrants qui ne répondent pas à certains critères. En gros, il y'a trois catégories de déportés :

1- Les faux réfugiés politiques.
2- Les sans papiers (ceux qui entrent clandestinement au pays)
3- Les criminels.

Ces derniers, même s'ils ont le statut d'immigrant reçu, même si la plus part d'entre eux ont grandi et construit leur identité au Canada, même s'ils ont des enfants et une famille au Canada, parce qu'ils n'ont pas la nationalité canadienne, aux yeux de la loi canadienne sur l'immigration ils sont jugés déportables.

C'est cette catégorie de déportés qui a fait l'objet du documentaire ''Il neige pas à Port-au-prince'' présenté le 7 juin 2002 sur les ondes de Radio Canada à l'émission la Tribune du Québec.

On a alors entendu le témoignage de quelques détenus de la prison de Bordeaux d'origine haïtienne, particulièrement celui de Jimmy et de Carl qui exprimaient leur désarroi face à une déportation qu'ils croient ne pas mériter : Voici en gros un rappel de leurs arguments :

1- Ils sont arrivés jeunes au pays et donc c'est ici qu'ils ont grandi et c'est ici qu'ils ont appris à faire le crime.
2- Ils ont une famille et des enfants au Canada dont ils doivent se séparer. Ils trouvent ça injuste pour les enfants.
3- Ils considèrent qu'ils payent le prix de la négligence de leurs parents qui n'ont pas fait leur nationalité..
4- Puisqu'il s'agit de les déporter en Haïti où le chômage est à 80%, où la situation politique et sociale est très instable depuis le départ du Duvalier en 1986, pour eux Haïti n'est pas un pays assez organisé ni sécuritaire pour leur assurer un nouveau départ dans la vie..

Il faut mentionner qu'au Canada on ne déporte un criminel qu'à la fin de sa peine ce qui lui donne le sentiment de subir une double peine surtout quand la destination des déportés s'appelle Haïti.

Alors, que deviennent-ils ces déportés haïtiens après leur déportation du Canada.. ? Quel sort attend Jimmy et Carl dans leur pays de naissance, Haïti..?

Mohamed Lotfi, auteur du documentaire ''Il neige pas à Port-au-prince'' propose un deuxième documentaire qu'il a réalisé à Port-au-prince même où il vient de passer 9 jours. Entre la Rue de l'enterrement et la place Champs de mars à Port-au-prince, Mohamed a rencontré une vingtaine de déportés du Canada, il a retenu le témoignage de ceux qui conservent encore un très fort sentiment d'appartenance avec leur terre d'accueil, le Canada, le Québec.

C'est le cas de Jimmy, trois fois déporté par les autorités d'Immigration Canada parce qu'il est entré deux fois illégalement au Canada après sa première déportation il y'a deux ans. C'est le cas aussi de Carl, déporté depuis 14 mois, de Remy depuis 7 ans, de Anicette depuis 10 ans, et Patrick depuis 18 ans.

Questions:

Ce documentaire soulève des questions qui méritent un débat:
Une personne qui arrive jeune au Canada devrait-il être jugé pour sa déportation au même titre que celui qui arrive déjà adulte.. ? Beaucoup d'immigrants ayant un dossier criminel ne seront jamais déportés parce qu'ils ont obtenu la nationalité canadienne.

Alors, le vrai problème est-ce celui de commettre un crime au Canada et d'être né en dehors du Canada.. ? Ou celui de commettre un crime au Canada sans avoir la nationalité canadienne.. ? Légalement le Canada a le droit de déporter des criminels qui n'ont pas la nationalité canadienne. Par contre la question qu'on peut se poser: Est-il moralement acceptable que le Canada déporte des personnes qui ont grandi et construit leur identité au Canada même si le pays où ils sont déportés est aussi instable comme Haïti .

Mot de l'auteur:


Cet été 2002, j’ai passé 9 jours en Haïti.

En parcourant la ville de Port-au-prince entre l’aéroport et l’hôtel, j’ai eu l’impression d’arriver à une ville abandonnée depuis quelques mois ou quelques années. Ces hommes et ces femmes que je voyais partout, semblaient retourner à leur ville après une longue absence. Sinon comment expliquer ces montagnes de saletés. On s’attendrait à ce que les habitants de Port-au-prince donnent un coup de chiffon pour nettoyer leur ville. C’est pour dire à quel point j’ai été choqué par une réalité à laquelle je devais pourtant m’attendre puisqu’on m’en a tellement dit. Pour quelques instants, j’avais même oublié la raison de mon voyage. Réaliser un documentaire radiophonique sur des hommes déportés du Canada en Haïti.

Depuis quelques années et encore aujourd’hui, je côtoie dans le cadre de mon émission radio Souverains anonymes (enregistrée à la prison de Bordeaux à Montréal), des hommes de passage en prison avant leurs déportations. Ils ne sont pas seulement haïtiens, mais ces derniers sont plus nombreux que les autres déportés originaires d’autres pays. Plus nombreux et surtout plus inquiets vu la situation instable en Haïti.

Après ‘’Il neige pas à Port-au-prince’’ premier documentaire qui donne la parole à des haïtiens avant leurs déportations, il était logique d’aller voir sur place ce que ces hommes deviennent.

Entre la rue de l’enterrement et la Place Champs de mars à Port-au-prince, j’ai retrouvé Jimmy et Carl que j’ai bien connu à Bordeaux. J’ai rencontré également Remy, Anicette, Patrick et plusieurs autres déportés du Canada. Mais pour ce deuxième documentaire j’ai retenu le témoignage de ceux qui ont grandi au Canada. Ceux qui se disent immigrants dans leur propre pays.. Ceux qui n’arrivent pas à s’intégrer dans leur pays de naissance, parce que c’est ailleurs qu’ils ont vécu leur enfance et leur jeunesse. La plus part de ces déportés sont inconsolables même après des années de séparation. Chacun a derrière lui toute une autre vie au Québec, à Montréal, là où ils ont tous encore une famille, une femme, des enfants.

De mes 9 jours passés à Port-au-prince je retiens que ces déportés du Canada en Haïti, même loin de Montréal font encore partie de la réalité canadienne. Leurs témoignages le confirment.

Le Canada n’est pas un pays ouvert à tous. Encore moins aux criminels de ce monde. C’est le message à retenir du Gouvernement canadien. Message destiné également à rassurer une partie de l’opinion publique (Même si nous savons que la politique de déportation n’a jamais baissé le taux de criminalité au Canada) Cependant, il faut le reconnaître : Les déportés qui ont grandi et construit leur identité au Canada, payent trop cher le prix de ce message. On ne règle pas une erreur par une autre erreur..!

Mohamed Lotfi

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