« ‘’Exilée’’, comment ne pas être touché par cette chanson ? »
Auteure-compositeure-interprète
23 Octobre 2008
Auteure-compositeure-interprète
23 Octobre 2008
Je quitte ma cellule
Je traverse les couloirs
Je salue mes amis
Je leur dis " à plus tard "
Je n' quitte pas Bordeaux
ce n'est pas un drame
je m'évade dans les mots
et les yeux d'une femme
Ma vie est un roman
Ma vie est une chanson
Qui en est l'auteur
c'est toute la question
Des questions que je me pose
en vers et en proses
Je te salue belle et brave femme
Et je te plaide notre cause
Andréanne Alain
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes
1- Bonjour Andeanne, je m’appelle Rollo. Mes amis Souverains et moi nous sommes très heureux de te recevoir à notre émission. Tu as franchis murs et murailles pour venir jusqu’à nous et nous allons profiter de ta grande générosité. Je souligne la présence parmi nous de Marc Perusse, ton guitariste et ton complice musical. Andreanne, tu es auteure compositeure et interprète. Tu as une longue expérience en musique. Tu as accompagnée beaucoup d’autres artistes comme musicienne et comme choriste. Maintenant, tu mènes ta propre carrière. Nous avons écouté ton album ‘’Sur nous le ciel’’. Nous avons beaucoup apprécié la poésie des mots portée par une musique recherchée et sentie. En fait, nous avons beaucoup aimé ton album même si notre musique à nous c’est plus proche du rap, du reggae, du R&B, du Word. Mais avant de parler de ta musique, de tes paroles et de nous, parlons un peu de toi. Pour mieux te connaître dis-nous simplement, qui es-tu Andreanne Alain..?
2- Bonjour Andreanne, je m’appelle Ben, une de tes chansons s’appelle exilée. Cette chanson me ressemble beaucoup. Moi aussi, je cherche l’autre bout de la terre comme un point de départ. Moi aussi, je me sens parfois au milieu d’un désert. Loin de ma terre de naissance et de ma terre d’accueil. Loin de ma famille et de mes enfants. Loin de ma mère. Mais je ne perds pas espoir, peu importe si le nord me perd, c’est au sud que je me réfère. Là où sont plantées mes racines, là où est enterré mon père. Là où l’Atlantique me berce, comme un enfant par sa mère. Moi aussi, je marcherai aussi longtemps qu’il faudra, avec l’amour comme seul repère. Dans cette prison, je suis un exilé, parmi tant d’autres. Je ne pleure pas sur mon sort, je m’en sors, en parole et en musique, je m’en sors. Plus tard, je te chanterai ma chanson. Dis-moi Andreanne, de toutes les chansons de ton album, Exilée, ne serait pas celle qui te ressemble le plus..?
3- Bonjour Andreanne, c’est encore moi Rollo. Moi aussi, je me sens concerné par ta chanson Exilée. J’ai vécu un vrai exil quand ma mère m’a amené de force en Haïti pour y vivre durant 4 ans. Mais grâce à cet exil, C j’ai pris conscience de mon appartenance québécoise et canadienne. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin du regard de l’autre pour savoir qui je suis. C’est en assumant mon appartenance québécoise et canadienne que je réussis à corriger le regard de l’autre sur moi. Je pense au regard de cette femme qui n’en revenait pas de découvrir que l’homme charmant, gentil et aimable que j’étais avec elle au téléphone, en réalité c’était un noir. Avec moi, cette femme a appris que son racisme était fondé sur l’ignorance et la peur. En apprenant à me connaître, elle a cessé d’avoir peur de la différence. Elle a surtout cessé de croire certains médias qui font du profilage racial. Aujourd’hui, cette dame sait que je suis un québécois comme les autres, elle sait que cela n’enlève rien à ma fierté d’être d’origine haïtienne. Mon exil a été douloureux, mais il m’a appris à mieux me connaître. Moi je veux savoir, maintenant que tu es avec nous à Bordeaux, te sens-tu en exil ou en voyage..?
4- Bonjour Andreanne, je m’appelle Richard, Bientôt tu seras une mère, moi je suis déjà père. En prison, ce dont je m’ennui le plus, ce n’est pas de boire dans un bar tard le soir, mais de mon fils. Depuis que les murs de cette prison nous séparent, je me sens en exil. J’ai hâte de retourner à mon fils comme un exilé à hâte de retrouver sa terre natale: Mon fils, mon héros : Question, dans ta chanson ‘’Je pense tout le temps’’, tu dis ‘’Je pense à toi, j’y pense tout le temps, tout a tellement d’importance’’. Moi c’est à mon fils que je pense tout le temps, le reste n’a plus autant d’importance. J’imagine qu’avec un enfant qui s’en vient dans ta vie, l’ordre des priorités n’est plus le même..?
5- Bonjour Andreanne, je m’appelle Nadim. ‘’Exilée’’, comment ne pas être touché par cette chanson ? Je me considère un exilé depuis l’âge de 15 ans. Depuis que j’ai quitté mon pays d’origine le Liban. Me voilà 30 ans, plus tard toujours nostalgique. Ma diaspora libanaise demeure le lien conducteur entre moi et le Liban. Je ne peux pas m’en passer, c’est une richesse que je ne peux pas mettre de côté. On ne peut pas oublier ses racines, sa culture, ces plats culinaires, sa langue, sa musique, ses danses et j’en passe. Et si c’était le cas à quoi ça sert un sentiment d’appartenance. À mon arrivée du Liban, je n’avais comme amis que des libanais, des arméniens et des marocains. Mon cercle d’amis était fermé à plusieurs d’autres cultures. Je ne savais pas que ma fermeture à certaines cultures était le symptôme d’un grand mal qui me rongeait beaucoup de l’intérieur. Ça m’a pris des années avant de prendre conscience que je n’avais pas fait le deuil de ma séparation de mon pays d’origine. Tout ça pour dire que le fait de rester enfermé dans ma diaspora libanaise chrétienne m’a fait beaucoup de tort. Aujourd’hui, Dieu MERCI, je me sens riche de toutes les diasporas que je croise, notamment ici à Bordeaux et particulièrement à Souverains anonymes. Oui, on peut être à la fois libanais, québécois, canadien et même amérindien. Aujourd’hui, une identité ne peut se contenter d’une seule appartenance. Et toi Andreanne.. En plus d’être québécoise qu’est-ce que tu aimerais d’autres pour enrichir ton identité ? Brésilienne, africaine, japonaise ou libanaise ?
6- Bonjour Andreanne, je m’appelle Ben, une de tes chansons a réveillé des émotions enfoui. Je t’avoue que j’ai versé quelques larmes en écoutant ces paroles : ‘’Depuis que t’es parti, je n’existe pas ici, je n’existe pas ailleurs non plus.’’ Ces paroles m’ont fait penser à mon père dont la mort il y’a 4 ans a créé un grand vide dans ma vie. Avec son départ, quelque chose en moi est partie aussi. Il faut dire que je n’étais pas présent à ses funérailles. 5000 mille kl me séparent de mon pays d’origine. Il m’arrive parfois de m’adresser à mon père, là où il se trouve, pour lui dire ‘’Amène-moi, amène-moi avec toi’’. En fait, je m’ennui de mon père parce qu’il était un model de droiture, d’intégrité et de noblesse. Toute sa vie il a gardé la tête haute en refusant toute forme de corruption. Ce sont ces valeurs qui m’inspirent aujourd’hui et me font supporter mon passage en prison. Toutes les bonnes paroles qu’il m’adressait, quand j’étais jeune, me reviennent en mémoire. Des paroles de sagesse dont je comprends aujourd’hui le sens profond. Mon père avait raison et j’espère être à la hauteur de ce qu’il attendait de moi. C'est-à-dire être un bon model pour mes propres enfants. Après tout, je ne suis que de passage dans cette prison. Comme toi Andeanne, je suis un artiste, je chante, je compose et je dessine aussi. J’aimerais transmettre à mes enfants un peu de la sagesse de mon père. Et toi, qu’aimerais-tu transmettre d’essentiel à ton enfant qui vient de tes parents..?
7- Bonjour Andreanne, je m’appelle Mohamed, je viens de la Guinée, j’ai apporté dans mes bagages pour le Québec beaucoup de lumières et de temps en temps je provoque une pluie de soleil pour permettre aux québécois et aux québécoises de prendre un bain de lumières. Une de tes chansons s’appelle ‘’Une pluie de soleil’’. Pluie et soleil sont deux mots que seule la poésie peut faire rencontrer et leur donner un sens à leur union. J’ai envie de donner moi aussi des rendez-vous à des mots qui ne se rencontrent pas. Par exemple : Hier dans un rêve, j’ai vu des nuages de larmes traversés par un Titanic volant guidé par un pilote aveugle. Dans mon sommeil, une vague de chaleur s’est emparée de moi. Mon rêve est devenu un cauchemar quand le Titanic volant a frappé un iceberg de feu, alors une neige d’été est tombée sur ma tête. Mon cauchemar est redevenu un rêve quand je me suis retrouvé au bord d’une rivière de désert accompagné d’une belle inconnue avec qui j’ai passé une nuit blanche. Alors Andreanne, de toutes ces associations improbables de mots, laquelle tu préfères qui pourrait faire partie d’une de tes chansons à venir: Nuages de larmes, Titanic volant, pilote aveugle, vague de chaleur, iceberg de feu, neige d’été, rivière de désert ou nuit blanche..?
8- Bonjour Andreanne, je m’appelle Armando, quand Mohamed nous a appris que tu étais enceinte, ça m’a particulièrement touché parce que quelques jours avant d’entrer à Bordeaux, ma femme a mis au monde deux jumeaux. Je suis devenu le père de deux enfants et ça a changé ma vie. Ce n’est pas la première fois que je mets les pieds en dedans, mais cette fois, je vis ma peine avec parfois de la peine et parfois de la joie, la joie d’être un père, la joie de rêver un bon avenir pour mes enfants, la joie de m’imaginer jouer avec eux au parc, la joie de savoir que je vais travailler pour combler leur besoin. Mais parfois j’ai de la peine de ne pas être à côté d’eux, d’être là comme un père présent. Mais le fait de te rencontrer aujourd’hui ça me redonne une joie de savoir que je suis quand-même privilégié d’être un père. Cet été, pour la première fois de ma vie, j’ai frappé à des portes pour offrir mes services de travailleur de la construction, je n’aurais jamais osé de le faire si je ne savais pas que j’allais être Papa. En fait, avoir des enfants ça m’a donné la joie de devenir responsable. Et toi, devenir mère, quelle joie ça te donne..?
9- Bonjour Andreanne, je m’appelle Anthony. À travers les paroles de tes chansons, on devine des histoires d’amours, histoire de départ et d’attente. Moi dans une histoire d’amour, j’aime bien quand ça commence, mais j’aime beaucoup quand ça finit. Pour moi quand c’est finit, c’est vraiment finit. Et je t’avoue que je préfère quitter que d’être quitté. On souffre moins. Je n’ai jamais regretté d’avoir quitté ma dernière blonde. Et pourtant, pendant deux ans, j’ai bien aimé cette fille, mais un jour je ne la reconnaissais plus. Ce n’était plus celle que j’avais rencontré deux ans auparavant. Je sais, c’est compliqué les histoires d’amour, et plus c’est compliqué, plus ça donne des bonnes chansons comme par exemple ‘’Ne me quitte pas’’, ‘’Reste encore’’ ou ‘’Amène-moi’’. La chanson que moi j’aimerais écrire un jour s’appellera ‘’Laisse-moi partir’’. Laisse-moi partir, on a plus rien à se dire, garde la maison, je garde la voiture, laisse-moi, STP, laisse-moi partir’’.. Et toi Andreanne, qu’est-ce que tu aimes dans une histoire d’amour. Quand c’est finit ou quand ça commence..?
10- Bonjour Andreanne, je m’appelle Emmanuel. En écoutant ton album, dans ta chanson ‘’Secret d’État’’, tu dis : ‘’On porte tous en soi, un monde, une croix et un secret d’État’’. Moi, mon secret d’état, je ne le connais pas, quelque chose me dit que c’est une femme qui le possède. Je n’ai pas encore rencontré cette femme. Celle qui représente mon idéal féminin. Parfois je l’imagine quelque part dans le monde. Comme moi, elle cherche elle aussi celui qui possède son secret d’État. C'est-à-dire moi. Un jour je vais la reconnaître parmi mille et une femmes, elle va se distinguer par ce quelque chose que personne ne voit sauf moi. Elle me reconnaîtra aussi, elle m’ouvrira les bras, aucun de nous deux n’aura à faire le premier pas puisque à chaque jour, à chaque instant, nous marchons l’un vers l’autre guidés par notre secret d’État. Chère Andreanne, tu portes dans ton ventre la vie, tu es enceinte, dans quelques semaines tu seras mère. Moi j’attends rencontrer la mère de mes enfants pour devenir père. Dis-moi Andreanne, quelle sera la première berceuse que tu vas chanter pour ton enfant..?
11- Bonjour Andreanne, je m’appelle Yvon Georges, comme vous je suis musicien, un batteur. Je le suis depuis très longtemps. Mais je suis aussi un père de 5 enfants, je suis même grand-père. J’ai 43 ans. Je suis arrivé au Québec à l’âge de 12 ans et depuis quelques mois je vis une expérience qui ressemble à une renaissance. Alors toi qui donneras bientôt naissance à un enfant, je vais te raconter l’histoire de ma renaissance. Après avoir vécu 31 ans au Québec et au Canada, les autorités canadiennes d’immigration sont venus m’apprendre que je n’étais pas canadien, que je n’étais pas québécois, que je suis haïtien et je dois retourner en Haïti. On appelle ça une déportation. Haïti est mon pays et j’en suis fier. Mais c’est ici que j’ai vécu, au Québec, au Canada. C’est ici que j’ai vécu les deux-tiers de ma vie. C’est ici que j’ai vu mes enfants venir au monde. Je peux le dire sans tromper personne. Avec le temps, je suis devenu québécois et canadien. C’est vrai que mes parents et moi-même, nous avons négligé de remplir les formalités pour avoir la nationalité canadienne, mais dans les faits, dans mon cœur et dans ma tête, je suis aussi québécois et canadien. Ce langage, les autorités canadiennes d’immigration ne semblent pas le comprendre ou font semblant de ne pas le comprendre et pourtant ils connaissent très bien la situation misérable en Haïti. Un pays frappé par les turbulences sociales et politiques. Frappé par la colère de la nature et les ouragans. Les autorités canadiennes savent très bien que renvoyer un ressortissant haïtien chez-lui, c’est l’envoyer à l’enfer. Le 17 octobre dernier, devant 69 délégations et chefs d'États participants au Sommet de la Francophonie à Québec, le premier Ministre Harper a déclaré ceci à propos d’Haïti : ''Notre solidarité envers ce pays est plus que jamais nécessaire. Haïti est le plus important bénéficiaire d'aide au développement à long terme du Canada''. Haïti compte 80% du chômage, 90% de sa population est pauvres. Je ne vois en quoi le Canada peut-il prétendre être solidaire avec Haïti en lui renvoyant des hommes, comme moi, dont la précarité et la vulnérabilité ne feront qu'aggraver l'instabilité du pays? Mais je t’ai parlé de l’histoire d’une renaissance, ma renaissance. En fait, avant que les autorités canadiennes ne rédigent l’ordre de déportation à mon égard, j’étais déjà déporté. Je me suis déporté de moi-même. Déporté de toutes ces personnes et ces endroits qui corrompent les bonnes mœurs. Je veux dire que la seule et unique déportation qui peut être bénéfique à ma personne et à ma société d’accueil, c’est celle qui me permet de devenir meilleur. Et c’est toi qui l’exprime bien dans ta chanson ‘’Tout recommence’’ quand tu dis :
Quand tout finit
Tout recommence,
Je t’appelle au cœur de ma vie
Tu me ramènes à l’existence
L’amour me rappelle qui tu es
Me rappelle qui je suis
Merci Andreanne de l’avoir écris, j’espère l’entendre plus tard, en attendant, je te pose cette question. Dans ta tête de poète, que signifie pour toi le mot déportation..?
12- Bonjour Andreanne, je m’appelle Saad, j’ai 28 ans. Moi aussi je me suis touché par ta chanson Exilée. Bientôt, je serai un exilé dans mon propre pays. Je suis arrivé au Québec à 15 ans. Pendant 13 ans, j’ai vécu une partie importante de ma vie au Québec, je me suis adapté au climat, à la mentalité et à la culture québécoise. Maintenant que je suis devenu en quelque sorte un québécois, un canadien, les autorités canadiennes envisagent bientôt de me retourner dans mon pays d’origine, le Maroc. C’est vrai que j’ai fais des erreurs. Des erreurs que j’assume totalement et j’assume ma punition en prison, mais je trouve que la déportation c’est une punition disproportionnée. Le crime que j’ai commis est moins grave que celui de me déporter chez-moi. J’aime le Maroc, c’est mon pays natal. Mais en m’empêchant de vivre au Québec, on me prive de la possibilité de m’enrichir de toutes ces cultures qui font aujourd’hui la force de mon identité. Je pense à ma copine jamaïcaine que je ne verrai plus, à tous ces quartiers de Montréal qui me permettaient de voyager d’une culture à l’autre sans prendre l’avion. J’espère que mon expérience servira de leçon à ceux qui ont oublié de faire leur nationalité canadienne. Je pense surtout à certains parents immigrants qui, par négligence, font beaucoup de tort à leurs enfants. Andreanne Alain, quand tu viendras faire un tour au Maroc, c’est avec plaisir que j’irai voir ton spectacle et je suis sûr que parmi des centaines de spectateurs, tu me reconnaîtras. MERCI.
13- Andreanne Alain, tu es auteure, compositeure, interprète, mais tu es aussi une femme qui donnera bientôt la vie à un enfant. Un enfant qui comblera ta vie. Il te donnera sûrement un peu de vertige. Le vertige du bonheur. Il t’amènera là où tu te sentiras moins exilée. Là où tout recommence. Comme à tous nos artistes-invités Je te souhaite le succès, le bonheur et la santé. J’aimerais souligner la participation spéciale à cette rencontre de ton musicien Marc Perusse. L’homme derrière beaucoup d’artistes devenus riche et célèbres..!! Au nom de tous mes camarades, Andreanne Alain et Marc Perusse, je vous déclare Souverains anonymes.