"La meilleure façon de guérir de son histoire, c'est de la raconter"
L'intégrale
Témoignage de Daniel
Tu quittes ta cellule
Tu traverses les couloirs
Tu salues tes amis
Tu leur dis " à plus tard "
Tu n' quittes pas Bordeaux
Ce n'est pas un drame
Tu t’évades dans les mots
et les yeux d'une femme
Ta vie est un roman
Ta vie est une chanson
Qui en est l'auteur
c'est toute la question
Des questions que tu te poses
en vers et en proses
Je te salue femme d'histoires,
Et je te plaide notre cause
Danielle Perrault
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes
1- Bonjour Danielle, je m’appelle Lentz. On m’appelle the peace parce que je m’appelle Lapaix. Je te souhaite la bienvenue et je te remercie d’être avec nous. C’est avec toi chère Danielle que nous entamons 2019. On commence l’année en beauté (N’est-ce pas les gars?). Tu as appelé ton dernier livre « Guérir de son histoire ». Ce livre fait partie maintenant de la bibliothèque des Souverains. Pour commencer, avant de te raconter l’histoire dont j’aimerais guérir, dis-nous d’abord très chère invitée, de quelle histoire toi tu as appris à guérir pour devenir la psychologue professionnelle que tu es devenue ?
2- J’ai compris de ton livre que la meilleure façon de guérir de son histoire c’est de se la raconter. Se raconter son histoire mais avec les bons mots, les mots justes. Je vais te résumer la mienne. Moi, je m’appelle Lapaix, mais j’ai vécu beaucoup de guerres. Beaucoup d’histoires, Beaucoup de combats. Le combat le plus dur c’est celui que je mène contre moi-même. J’ai vécu une drôle d’enfance. Quand j’étais avec mon père en Haïti, je ne vivais pas avec ma mère à Montréal. Et quand je vivais avec ma mère à Montréal, je n’étais pas avec mon père en Haïti. Il manquait toujours l’un ou l’autre, Et comme j’ai vécu beaucoup plus avec ma mère qu’avec mon père. Le manque du père a fini par faire son effet. Ma mère a toujours été prête à mourir pour me défendre. Mon père aussi, mais de loin! Ma mère était prête à déplacer des montagnes pour me me protéger. Mon père aussi, mais de loin! Aujourd’hui, je prends conscience de l’ampleur du vide laissé par ce père aimant mais de loin. En absence de mon père, ma mère a voulu être à la fois mon père et ma mère, mais une mère ça ne remplace jamais un père. Alors mon combat aujourd’hui, c’est de devenir mon propre père et ce n’est pas facile. Mon combat c’est de retrouver en moi cette autorité paternelle, cette force dont j’ai tant besoin pour ne plus céder à la facilité, aux tentations. Un jour, je vais être père et la seule façon de guérir de mon histoire c’est de ne pas la répéter. Je veux pas être un père aimant, mais de loin. Je veux être présent tout le temps. Ma mère a été une guerrière pour moi. À mon tour d’être guerrier pour mes enfants. Pas de loin, pas séparé de ma femme.. Je ne veux pas être un père, en dedans. Merci d’avoir écouté ma petite histoire.
3- Bonjour Danielle, je m’appelle Ronald. Guérir de son histoire c’est un titre qui ne pouvait que m’intéresser. Ton livre donne la parole à des enfants qui ont été abusés. Je veux te féliciter d’abord pour ce travail littéraire en parlant pour eux à la première personne. Tu as réussi à développer un style ou les drames d’enfants sont racontés comme des contes. Ce que tu appelles les nouveaux comptes de Perrault. Bravo! Donc, j’ai lu ton livre avec beaucoup d’intérêt. Et nécessairement, cela m’a ramené à ma propre histoire, celle dont j’aimerais guérir. Je ne sais pas si tu es la bonne psychologue pour m’aider à guérir de cette histoire. D’autres psy avant toi ont essayé mais sans grand succès. Mon histoire se résume en quelques mots. J’aime les femmes. Mais, je suis incapable d’aimer une femme à la fois. On dirait qu’à chaque histoire d’amour, je ne suis jamais totalement satisfait de l’amour qu’on me donne. Je me lasse vite. Je suis arrivé moi-même à un diagnostic que j’aimerais te soumettre. Tu me diras si je connais bien mon histoire et comment je pourrais peut-être en guérir. Je crois que la raison de mon insatisfaction dans l’amour c’est que jamais aucune femme n’a réussi à me donner autant d’amour que ma mère. Si comme si je cherchais ma mère dans chaque blonde et comme aucune femme ne peut être à la hauteur de ma mère, ça finit toujours trop vite. Est-ce que mon diagnostic est bon ?
4- Bonjour Danielle, je m’appelle Enis. Dans ton livre tu aurais pu ajouter un chapitre en l’appelant « Enis, enfant de la guerre ». Moi je crois que personne ne peut me guérir de mon histoire. Ce n’est pas l’histoire d’une personne, c’est l’histoire d’un peuple. Je fais partie de ce peuple. Je suis bosniaque et je suis fier de l’être. Il n’y a pas si longtemps, mon peuple a beaucoup souffert. La guerre en Bosnie, je l’ai vécue enfant. Aujourd’hui, la Bosnie a retrouvé la paix et la liberté, mais à quel prix ? Combien de morts ? Combien de sang ? Mais rassure-toi Danielle. Je ne suis pas en train de pleurnicher sur mon sort. Je veux juste ne pas oublier. Peut-être que la seule façon de guérir de mon histoire, c’est de ne pas l’oublier. Je veux que ma fille soit fier de son histoire. Fière de sa famille, fière de son père. Je veux que ma fille se sente aussi grande que son père. Les souffrances qui font grandir sont celles qui qu’on réussit à exprimer, à raconter. Les souffrances qui font détruire sont celles qu’on garde au fond de soi.. N’est-ce pas Danielle ?
5- Bonjour Danielle, je m’appelle Jean-Hubert. Je n’ai pas lu tout ton livre, mais je suis sûr que tu as déjà écrit sur le deuil. Moi l’histoire dont j’aimerais guérir la voici : J’avais un ami, un grand ami. Il était un frère pour moi. Le genre de frère sur qui je pouvais compter. Seule la mort pouvait nous séparer et malheureusement la mort nous a séparé. Il avait 19 ans. J’avais 19 ans. Aujourd’hui, j’ai 35 ans. Je n’ai jamais réussi à faire vraiment mon deuil. Je ne pouvais être présent à ses funérailles. J’ai été en dedans. J’ai demandé à ma sœur de prendre au moins une photo de lui dans son cercueil. Elle a oublié. Il m’arrive encore aujourd’hui de croire qu’il est encore vivant. En tout cas, il est vivant dans mon cœur et pour toujours. Peut-être parce que je n’ai pas fait le deuil sur la mort de mon ami que longtemps, j’ai eu de la misère à accepter qu’un jour, je vais perdre mon père et ma mère. Chose certaine, je ne manquerai pas leurs funérailles. Mais en attendant, je leur espère longue vie. Dis-moi Danielle, comment guérir de la mort d’un frère ?
6- Bonjour Danielle, je m’appelle Mamadou. Ton livre s’appelle « Guérir de son histoire », moi mon histoire s’appellerait « Vivre avec son histoire ». J’ai vécu beaucoup d’histoires dans ma vie avec qui j’ai appris à vivre pour continuer à grandir. La plus importante c’est celle avec mon père. Je résume. Mon père est un homme très instruit, hautement diplômé. Il voulait que son fils soit comme lui. Il voulait que je lui ressemble en tout. Mais jamais il n’était satisfait de moi, jamais. Un moment donné, pour lui prouver que j’étais capable moi aussi de réussir et de faire plus d’argent que lui, j’ai basculé dans le crime. Je pensais que c’était le chemin le plus court pour réussir à impressionner mon père et peut-être même le défier. Je connais aujourd’hui le prix de cette erreur. Dans ton livre il y un chapitre qui s’intitule « La peur, ce combat » dans lequel tu écris « Entre la vie et la mort il y a la peur de découvrir aussi bien la noirceur que la lumière ». Mon combat aujourd’hui c’est d’atteindre la lumière pour pouvoir la transmettre à d’autres. Je veux tout connaître sur l’Afrique pour pouvoir en être fier. Mon père, lui, je l’aime bien mais désormais, il ne m’empêche plus d’avoir ma part de lumière en étant moi-même. Mais explique-moi, comment peut-on avoir peur de découvrir la lumière ?
7- Bonjour Danielle, je m’appelle Daniel. Dans ton livre il y a un formidable chapitre que tu as intitulé « Pipi, caca, pet ». Cette phrase de l’enfance par laquelle nous devons tous passer avant de prendre conscience de notre personne. Cette partie de ma vie a été volée. Je n’ai eu pas la chance de jouer avec mon pipi, mon caca et mes pets. Je ne sais pas si un jour je vais guérir de mon histoire, mais je ne perds rien à te la raconter. Moi, vois-tu, dès ma naissance le destin a décidé de s’acharner sur moi. Une semaine après mon arrivée au monde, ma mère est partie. Deux ans plus tard, j’ai perdu la tante qui m’avait pris en charge. Mon père n’étant pas là, j’ai connu quelques 40 foyers nourriciers. À l’école, on m’appelait le bâtard. Très jeune, j’ai développé dans mon cœur un sentiment de vengeance contre mon sort. Un jour on m’a offert un camion, je l’ai aussitôt cassé en mille morceaux. J’ai décidé que si le bonheur ne voulait pas de moi, je ne voulais pas de lui. Résultat, je suis devenu méchant contre les autres. Plus tard, j’ai compris que je l’étais surtout contre moi. C’est à moi que je faisais mal. Et un jour, un homme a observé chez-moi que j’étais capable de faire quelque chose de mes mains. Il ne s’est pas arrêté sur ma méchanceté, il a vu en moi un homme capable de donner au lieu de prendre tout le temps. J’ai commencé à travailler à l’âge de 37 ans. J’ai fait plusieurs métiers, surtout dans le domaine de la construction. Mais la drogue avait déjà une emprise sur moi, ça m’a pris encore beaucoup d’années avant de m’en débarrasser. Aujourd’hui, ça fait un an que je suis sobre. J’ai trouvé dans la bible un médecin extraordinaire. J’ai découvert en moi un grand penchant pour la spiritualité. Aujourd’hui, je veux donner, je veux redonner ce que j’ai pris. Je veux aider. Je vois beaucoup de jeunes autour de moi qui sont un peu perdus. Si je peux aider quelques-uns seulement à ne pas sombrer, je serais un homme heureux. Je me sens déjà beaucoup moins malheureux, beaucoup moins méchant. Je ne suis pas parfait, mais je me soigne chaque jour en me racontant une bonne histoire. La bible est une bibliothèque pleine de belles histoires. Ma préférée est celle ou un homme dit à tous les hommes « Aimez-vous les uns les autres ». Merci Danielle.
8- Bonjour Danielle, je m’appelle Samy. Dans ton livre tu écris cette phrase « On ne sait si on attrape le malheur ou si le malheur qui nous attrape ? » Peut-être que la réponse à cette question est dans la petite histoire que je vais te raconter. Dans mon histoire il y a un décor et quelques accessoires. Le décor change, mais pas les accessoires. L’action se déroule parfois en cuisine, parfois au salon, parfois dans ma chambre. Les accessoires ? Parfois c’est un bâton, parfois, une ceinture, parfois un fil de fer. Ce n’est pas moi qui choisit, c’est mon père! Quand il décide de me punir, il ne sait pas parler, il ne sait que frapper. Et moi avec le temps, les frappes n’avaient plus aucun effet sur moi, avec autant de coups reçus, je dormais comme un bébé, comme si je venais de perdre un combat de boxe. J’ai appris avec le temps à en rire. Mais il n’y a pas de quoi rire. Mon père me frappait parce que je prenais la défense de mon grand frère. Lui, il était encore beaucoup plus battu que moi. Mais comme on dit, ce qui ne te tue pas, te rend plus fort. Je vais sortir de Bordeaux avec mon secondaire cinq. J’ai l’intention d’étudier à l’université. Mon but c’est de travailler auprès des jeunes battus. Je veux écouter leurs histoires. Comme toi, je veux les aider à les raconter comme je suis en train de te raconter la mienne. Comme toi, je crois au pouvoir des mots. Les mots libèrent mais à condition d’avoir une oreille attentive. Merci de m’avoir écouté.
09- Bonjour Danielle, puisque dans ton livre, tu racontes les histoires des gens en forme de contes, j’aimerais que tu nous lises au moins un compte. Je te propose celui que tu as appelé « L’Incompris ».
10- (mot de la fin) Danielle Perrault, j’ai la forte impression que je suis revenu en prison juste pour te croiser, te parler, te raconter mon histoire et éventuellement de me sentir un plus léger. Si jamais je te croise une autre fois, j’espère que sera ailleurs. Je ne serai pas complètement guéri de mes histoires, mais je serai libre. Reste la femme libre que tu es. Libre de vivre de ta passion. Conter des histoires. La psychologie a été inventée pour aider à vivre. Tu nous a aidé à comprendre. Longue vie à toi. Je rappelle le beau titre de ton livre « Guérir de son histoire » ? Au nom de tous mes amis Souverains, je te déclare Danielle Perrault Souveraine anonyme.